Agent de footballeurs sur la sellette, Driss représente un joueur à bout de souffle. Qui plus est, endetté jusqu’au cou, il ne lui reste qu’une semaine pour échapper à ses créanciers, lors d’un mercato fumant.
Le cinéma outre-Atlantique s’est attardé à plusieurs reprises sur les coulisses du sport professionnel, ce qui ne constitue point une surprise, tant les milieux du basket-ball, du base-ball ou du football américain fascinent sur et en dehors du terrain. Les jeux de pouvoir qui s’opèrent à l’abri des caméras ont donné des idées à Oliver Stone ou Steven Soderbergh et à des longs-métrages tels que L’Enfer du dimanche, High Flying Bird, Le Stratège ou Jerry Maguire.
En revanche, en Europe, le monde des affaires lié au football traditionnel ou soccer intéresse moins le septième art, y compris en France. Hormis le diptyque navrant signé Fabien Onteniente (3 Zéros, 4 zéros), les cinéastes hexagonaux se sont très peu penchés sur le sujet alors que l’actualité brûlante autour des transferts et de l’argent qu’ils génèrent attise la curiosité du public, au-delà du dégoût et de l’admiration. Voilà pourquoi Mercato tombe à point nommé même si la présence de Tristan Séguéla derrière la caméra n’augurait rien de bon au préalable.
Auteur de plusieurs comédies insipides, le réalisateur ne s’était jamais distingué favorablement jusque là. Peut-être parce que manier l’humour ne constitue pas sa force ! En collaborant avec Jamel Debouzze, il propose un thriller assez haletant, malin, englué, il est vrai dans les stéréotypes, mais suffisamment féroce pour portraiturer un monde gangréné par la cupidité et la félonie. Et si l’écriture ne brille pas par sa densité, elle parvient avec quelques astuces formelles à convaincre.
Une semaine pour vivre
Ainsi, la séquence d’introduction, anodine en apparence, se démarque par son culot et ce qu’elle annonce. On y voit le destin funeste d’une langouste, capturée pour être finalement bouillie puis servie pour quelque client richissime dans un établissement de luxe. Le processus minutieux qui conduit le crustacé dans une assiette rappelle, toute proportion gardée, celui de la fabrication d’une munition jusqu’à son utilisation pour exécuter un homme de sang-froid dans le Lord of War d’Andrew Niccol.
Si Séguéla n’adopte pas une approche autant épique et ambitieuse que celle de son homologue américain, il inocule quelques minutes plus tard une once d’ironie mordante… puisque l’animal étouffera celui qui la mangera, élément déclencheur d’un engrenage infernal. En effet, le cinéaste ne maîtrise jamais aussi bien son dispositif qu’en imbriquant habilement chaque rouage, infime, insignifiant, qui réunis, forment un vaste ensemble cohérent.
Certes, les acteurs qui le dirigent, véhiculent tous les clichés existants autour de l’univers du ballon rond. Néanmoins, c’est en reposant sur ces poncifs que Mercato atteint son équilibre. Balloté de ville en ville, Driss n’a que quelques jours pour trouver une issue favorable et éponger ses dettes. On imagine alors Tristan Séguéla accélérer le mouvement afin de s’approprier le caractère frénétique, pressé de cet ultimatum. Pourtant, il préfère entrelacer le compte à rebours avec des scènes de tractations interminables, pour davantage se conformer aux difficultés inhérentes qui en résultent.
Dans l’arène du cynisme
Ici, la couleur de l’argent, chère à Martin Scorsese, abreuve les négociations et s’érige en unique moteur de vie et source de motivation. Malgré une démarche un poil trop racoleuse et réductrice, Mercato décrit un cercle très fermé dont les élus sont partagés entre le cynisme d’un marché et le morceau de rêve offert à tous les spectateurs dans l’enceinte d’un stade ou devant la télévision. Ou comment quelques hommes fédèrent durant une fraction de seconde par leurs exploits, en célébrant un but.
Le long-métrage oscille alors entre polar bien ficelé et tableau maladroit d’une institution souillée par les opportunistes, l’appât du gain et une forme d’esclavage moderne, que toutes les commissions ou salaires mirobolants ne pourront jamais occulter. Il faut savoir par exemple que le « projet Mbappé » obnubile parents, éducateurs et agents peu scrupuleux, avides de dénicher la future poule aux œufs d’or. Une tendance authentique et alarmante que Tristan Séguéla n’hésite pas à relater… tout en la nuançant.
Par moments, on croirait presque que le réalisateur a encore foi dans la vertu et l’honneur, tout comme ses protagonistes, vacillant quand ils doivent rafler la mise, pour ne pas oublier qu’ils aiment toujours leur sport, que le jeu prime sur les billets verts et que la passion continue de les animer. Même Driss, tout manipulateur, menteur et tricheur qu’il soit, en a conscience, si bien que derrière ses machinations se dissimulent un affect intact pour le football. Campé par un Jamel Debouzze qui délivre sa meilleure prestation depuis bien longtemps, l’agent émeut lorsqu’il évoque le but de Zidane en finale de Coupe d’Europe en 2002. Et durant ces quelques secondes, on ignore qui du comédien ou du personnage conte cette anecdote.
Et c’est parce qu’il se moque de ses propres défauts que Mercato remporte son pari. Acerbe, cruel et parfois touchant, ce, à l’image de son antihéros, le long-métrage rayonne par son efficacité plus que par sa folie, percute sans finesse et remplit de fait son contrat.
Film français de Tristan Séguéla avec Jamel Debouzze, Hakim Jemili, Monia Chokri. Durée 2h03. Sortie le 19 février 2025
François Verstraete
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