2054. Afin d’échapper à ses créanciers, Mickey décide de s’engager dans une mission de colonisation spatiale, organisée par un riche politicien. Dépourvu de talent particulier, il est recruté comme remplaçable et doit mourir encore et encore pour s’assurer de la sécurité de ses compagnons. Mais un jour, un coup du sort va infléchir son destin.
Six ans se sont écoulés après le triomphe public et critique de Parasite, récompensé par la Palme d’or cannoise et l’Oscar du Meilleur film. Rien d’étonnant puisque son auteur, Bong Joon-ho, n’est point réputé pour une filmographie prolifique, mais plutôt pour son éclectisme, préférant la qualité à la quantité. Et en abordant une multitude de genres sans en embrasser l’essence, ce pour mieux servir son propos, le réalisateur rejoint dans sa démarche, certains noms illustres : William Wellman, Michael Cimino et Stanley Kubrick. Une manière comme une autre de regarder le monde tout en conservant son indépendance.
Voilà pourquoi on s’interrogeait sur la pertinence de sa collaboration avec Hollywood à l’occasion de son nouveau projet Mickey 17. En acceptant la somme conséquente de cent cinquante millions de dollars de la part de Warner, n’avait-il pas conclu un pacte avec le diable (et surtout allait-il bénéficier de la même liberté pour agir) ? En outre, la sortie retardée du long-métrage, consécutive à une mésentente entre la firme et le cinéaste concernant le montage final n’augurait rien de bon. Par ailleurs, une autre question se profilait à l’horizon, Bong Joon-ho pouvait-il réitérer l’exploit de Parasite et enrichir son œuvre d’un nouveau sommet, quand d’autres ont échoué avant lui et ont vu leur inspiration tourner court.
Le Sud-Coréen réponde n adaptant le roman de science-fiction d’Edward Ashton, Mickey7, s’aventurant au pays de l’Oncle Sam pour proposer une fable dont il a le secret, corrosive à souhait. Et avec Mickey 17, Bong Joon-ho récite sa leçon par cœur, bien que pour une fois, il semble rentrer dans le rang, dépassé par les contraintes invisibles ou par une molle ambition.
Farce et attrape
L’introduction, hautement maîtrisée, indique quoi qu’il en soit, que le cinéaste conserve cette étrange énergie cynique, cet humour qui transforme chacun de ses opus en farce noire… avant généralement la tragédie finale. Piégé sur une planète glaciaire, Mickey (incarné par un Robert Pattinson une nouvelle fois au diapason d’un rôle si singulier) attend une délivrance qui ne vient pas, tandis que son associé d’hier le nargue au lieu de le sauver. Tel Sisyphe, le personnage est condamné à une répétition d’un même effort, excepté que dans son cas, son labeur s’avère morbide à souhait.
Pourtant, Bong Joon-ho préfère en rire, se joue des tribulations pathétiques de ce pauvre hère, qui s’est livré de plein gré en pâture aux loups. Son parcours atypique, jonché de cadavres encore frais, offre l’occasion au cinéaste de délivrer un enchaînement de situations aussi jubilatoires que dérangeantes, puisqu’à chaque fois, on se moque de la vie d’un homme. Il n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai, dans la mesure où il se consacrait à ce délicat exercice dans Mother, Memories of Murder et bien entendu dans Parasite.
C’est pourquoi il affectionne tant les simples d’esprit, pour leur innocence et leur maladresse, à même d’extraire le meilleur et le pire chez tout à chacun. En péchant par naïveté, ils s’éveillent pleinement à la conscience et comprennent la portée de leurs actes. Le chemin de croix de Mickey 17 lui ouvre les portes de la liberté, à condition de se rabaisser quelquefois à la fourberie qui l’a conduit dans cet enfer perpétuel. Et comme à l’accoutumée avec le metteur en scène, l’important ne se situe plus dans une sélection toute darwinienne, mais dans la survie.
Du pamphlet référentiel…
Plus les minutes défilent, plus Bong Joon-ho progresse en terrain conquis et développe son réquisitoire contre un système inique. Tandis que Mickey meurt encore et encore et que ses proches ou compagnons lui demandent ce qu’il ressent durant ces terribles instants, le cinéaste, lui, pointe du doigt une société qui ne respecte même plus le principe élémentaire de la vie. Désormais tout peut se vendre et possède une valeur toute relative voire bon marché. Une réflexion émise dans le Hostel d’Eli Roth, le gore outrancier en moins, les dialogues souvent savoureux en plus.
Le réalisateur en profite pour s’auto-citer au passage, une tendance dans l’air du temps, bien que les circonstances se prêtent davantage à un tel dispositif. D’une certaine manière, au cœur de cet environnement polaire, Mickey 17 prolonge le discours, les thématiques et les enjeux de Snowpiercer. Snowpiercer évoquait la fin d’un monde et Mickey 17 la naissance d’un nouveau. Quant à Mickey, sauveur christique malgré lui, il apporte la sagesse par le biais de résurrections façonnées par une main loin d’être divine. Ce procédé hautement blasphématoire contraste avec la bigoterie affichée par la caste dirigeante.
On se plaît fréquemment à rêver devant les mornes étendues, saisi par les élans poétiques et le cinéphile averti relèvera quelques références ci et là. Néanmoins, Bong Joon-ho ne se contente pas du minimum syndical en mimant bêtement, mais transcende son sujet avec élégance, avec la séquence de la capture du « rampeur ». Il filme le chaos avec une précision identique à celle déployée par Friedrich Murnau dans L’Aurore, quand l’Allemand se concentrait sur la course-poursuite avec un animal plus conventionnel. Et c’est pendant ces moments précieux que l’on retrouve la posture fine, chère au Sud-Coréen. Fort heureusement d’ailleurs, car sa démonstration lui échappe totalement, notamment durant sa deuxième partie, dominée par les stéréotypes de tout poil.
Caricature forcée
En effet, il se déleste de toute la subtilité qui le caractérise habituellement pour dresser une satire louable, mais hélas terne. L’écriture de bon nombre de personnages secondaires souffre d’un cruel manque de profondeur, à commencer par ceux de Mark Ruffallo et Toni Collette et ils alourdissent encore plus le résultat avec une prestation sans la moindre nuance. Bong Joon-ho portraiture le macrocosme américain comme il le faisait avec sa Corée natale, vainement. Entre le colonialisme délétère, l’extinction des Amérindiens, la crise écologique ou la mainmise de Trump et ses alliés, tous les problèmes sont énumérés avec des métaphores très mal conceptualisées.
À croire que Bong Joon-ho s’est égaré face à l’ampleur de son chantier… ou que la production l’a sommé de faciliter la lecture de sa diatribe. Dans tous les cas, le long-métrage perd aussi bien de sa substance que de sa cohésion, tant les écueils et les authentiques réussites s’entrechoquent, ce jusqu’à une conclusion inoffensive, mais porteuse d’espoir. Pour la première fois, le réalisateur nourrit un vœu pieux, celui de la rédemption et de la guérison.
Par conséquent, Mickey 17 amuse autant qu’il déçoit, dépasse les attentes tout en trahissant ses promesses. À l’instar d’un James Gray qui se cherche après son fabuleux Lost City of Z, Bong Joon-ho se met en quête de la source de Jouvence. Et on lui souhaite ardemment d’y parvenir.
Film américain de Bong Joon-ho avec Robert Pattinson, Mark Ruffalo, Toni Collette, Naomie Ackie. Durée 2h17. Sortie le 5 mars 2025
L’avis de Mathis Bailleul : En parfaite synthèse de ses précédentes productions américaines Okja et Snowpiercer, Bong Joon-ho revient avec Mickey 17 et une chose est sûre, le génie n’a rien perdu de son talent derrière la caméra, de son humour doux amer et surtout… de l’engagement et la rage qui l’animent.
François Verstraete
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