Jérémie revient à St Martial afin d’assister à l’enterrement de son ancien patron. Sa veuve accepte de le loger quelques jours, au grand dam de son fils. La tension monte d’un cran pour Jérémie, loin d’être le bienvenu. Et une succession d’événements va infléchir son destin…
En proie à une crise de conscience, un homme se rend à l’église pour se repentir. Là-bas, il y croise le prêtre qui l’invite à prendre sa place et à inverser les rôles. On ignore alors qui est le pêcheur et qui doit absoudre… néanmoins, on comprend que personne n’est vraiment innocent dans cette histoire. Cette séquence insolite, peut-être la plus belle du long-métrage, marque par son intensité et son incongruité. Elle caractérise surtout le savoir-faire unique d’Alain Guiraudie.
Figure singulière au sein du paysage cinématographique français, le metteur en scène se distingue par des contes quasi surréalistes, teintés d’humour noir et nimbés d’une aura vénéneuse. Il instille la peur du désir dans le cœur de ses protagonistes pour annoncer plus solennellement la tragédie à venir. Très porté sur la question de genre et de l’homosexualité, il préfère traiter le sujet avec un décalage inattendu sur le fond et sur la forme, intriguant de fait et soulignant l’attitude ambivalente, hypocrite voire indifférente d’un entourage qui feint l’ignorance pour mieux haïr.
D’ailleurs, le moment des retrouvailles entre Jérémie et Vincent en dit long sans aucune ostentation. Quelques gestes et regards laisseraient deviner une ancienne liaison même si Alain Guiraudie entretiendra le secret sur ce point jusqu’au bout. En effet, à partir de ce postulat, il va forger une fois encore, une fable impitoyable, nichée dans un cadre provincial reculé comme il les affectionne, qui renforce la facette âpre de sa démonstration.
Province interdite
Ainsi, on ressent tout le contraste entre une petite bourgade et les vastes enclaves de la métropole, dès l’arrivée en voiture de Jérémie aux alentours de St Martial. Lorsqu’il pénètre dans cette étrange contrée et arpente ses routes sinueuses, Alain Guiraudie se plaît à filmer les grands espaces avec un lyrisme presque mortifère. La nature ne dégage aucune chaleur ni le moindre signe de vie, y compris en forêt, hormis les champignons, unique trésor d’une région dévastée et désertée.
Le constat amer reflète celui d’une réalité commune à nombre de villages délaissés et dont le peu d’activité a été sapé par les puissants. Voilà pourquoi on achète désormais son pain dans les hypermarchés situés à plusieurs dizaines de kilomètres de chez soi. Rien de positif ne peut émerger d’un tel environnement, si ce n’est la lente décrépitude des êtres qui y résident encore par la force des choses, par habitude ou par lâcheté. Chacun est confronté à ses propres démons et illusions tandis que vient sourdre la tragédie tôt ou tard.
Et Alain Guiraudie excelle dans cette mise en place, dans la retranscription des menus détails qui crédibilise cet univers autant sordide que loufoque, hanté par de drôles d’individus, inquiétants ou touchants, capables de revirements comportementaux spectaculaires aux moments inopportuns. Bien entendu, il est difficile parfois de croire aux abstractions du récit, à ses élucubrations et de se raccrocher à quelque élément concret quand il emprunte d’autres chemins, à la croisée des genres. Le cinéaste égare nos sens, car il sait très bien que la force de son système repose avant tout sur une forme d’ingénuité saupoudrée d’un soupçon d’absurde.
Crédulité absurde
Miséricorde trouve son équilibre dans une certaine forme de naïveté confondante, qui confine à l’absurde. La ligne de conduite incompréhensible n’est plus dictée par la raison, mais par l’émotion, la passion dans toute sa connotation originelle, la culpabilité et le désir. Jouet de toutes ces influences, Jérémie ne sait plus à quel saint se vouer et encore moins à quelle morale obéir.
Piégé par des forces qui le dépassent, le protagoniste cherche sa place et se remémore d’un amour passé, jamais assouvi et déclaré, à travers la photo d’un disparu. Dans son errance solitaire, il croise la route de paumés à son image et communique par des répliques aussi bien anodines qu’ubuesques, se pliant ainsi au ton du long-métrage. Et le réalisateur surprend d’autant plus quand il inocule des bouffées de violence inattendue, moins graphique certes que dans L’Inconnu du lac, mais tout autant cruelles. Pourtant la scène de la rixe répond toujours à ces critères absurdes, mais l’humour laisse place au macabre.
Si Alain Guiraudie revendique une filiation avec la séquence mémorable d’Invasion Los Angeles de John Carpenter (qui se rapportait elle-même à celle de L’Homme tranquille de John Ford), il n’en extrait pas la même saveur joyeuse, bien que son personnage renaisse de ses cendres pour le pire. Or c’est bel et bien dans la confusion des sens et dans les doutes de Jérémie que Miséricorde puise toute sa substance émotionnelle. Un substrat catalysé par ailleurs par un prêtre assez unique campé par un excellent Jacques Develay.
Un curé pas comme les autres
À la fois acteur et témoin du drame en cours, l’homme de foi interpelle par son rôle sacrilège, à contre-courant, héraut d’idéaux qui s’affranchissent de toute notion de bien et de mal, de toute valeur en adéquation avec la société ou son Église. Ses rencontres avec Jérémie, faussement fortuites, relèvent d’abord de l’ordinaire pour basculer dans l’incongru. Le malaise palpable, induit par la controverse du contexte n’est apaisé que par l’amusement généré par le résultat final.
Ce curé s’impose comme l’épicentre d’une galerie de personnages iconoclastes rongés par le remords et par le poids de conventions si lourd à porter dans un monde exclut de la modernité. Les réseaux sociaux se substituent aux commérages, aux bruits de couloir, mais rien n’empêche personne de surveiller, harceler et violenter son voisin. La duplicité d’une époque se juxtapose au jugement à l’emporte-pièce pour mieux se fracasser contre une ténacité peu ordinaire et un refus des normes inédit.
Certes, il n’y a rien de charmant dans Miséricorde, juste de la souffrance et des remords dissimulés derrière le masque du cynisme et les piques acerbes d’une comédie jubilatoire. On rit beaucoup, mais on redoute aussi ce portrait désabusé, symbolisé par les propos défaitistes d’un homme ayant trahi quelque part sa confession.
Film français d’Alain Guiraudie avec Félix Kysil, Catherine Frot, Jean-Baptiste Durand. Durée 1h44. Sortie le 16 octobre 2024
L’avis de Mathis Bailleul : Alain Guiraudie et le désir, ça accouche toujours de productions tortueuses solides et magnétiques mais encore une fois… et cette fois-ci avec le passionnant Miséricorde, on a envie de l’aimer mais son mélange habile et drôle des genres créé plus de distance et un curieux décalage.
François Verstraete
Share this content: