1971. Katharine Graham dirige le Washington Post. Elle est la première femme à occuper une telle fonction. Alors que le journal traîne un retard sans équivoque avec son rival, le New York Times, le rédacteur en chef Ben Bradlee décide de s’opposer au gouvernement américain, mais également à une partie de sa société en publiant des documents explosifs, les Pentagon Papers.
Churchill disait qu’en temps de guerre, la vérité est une chose si importante qu’elle ne peut être cachée que par un tissu de mensonges. Cependant, les temps changent justement et comme le souligne à juste titre Bradlee les connivences entre le pouvoir politique et celui de la presse, union sacrée à une époque pour le bien de la nation, ne sont et ne seront jamais plus. Non, il n’est plus question de dissimuler quoi que ce soit pour les journaux du pays tant bien même qu’ils avaient omis de signaler les problèmes de santé de Roosevelt en pleine Seconde Guerre mondiale, toujours au nom de la raison d’État. Dans l’intervalle, l’affaire des Pentagon Papers modifia drastiquement la donne, ce à jamais…

Cicatrices…
Si traiter d’un tel sujet résonne de concert cruellement avec l’actualité, Spielberg n’oublie pour autant pourquoi il opte vers cette tendance, et ce tout le long du film. Le dossier des Pentagon Papers n’est point nouveau au cinéma, mais n’a jamais été exploré frontalement. On se souvient bien entendu des Hommes du président (le scandale du Watergate fait suite aux révélations des Pentagon Papers) ou encore du thriller L’Ultimatum des trois mercenaires dont le cœur de la trame puisait ses sources dans lesdites révélations.
Pour le large public d’aujourd’hui, coutumier des informations en direct et en continu, couplées, à la crudité des images de la guerre, il est inconcevable à quel point celle du Viêt-nam a choqué la conscience collective américaine. Les récits d’anciens combattants devenaient alors des films traumatisants, montrant l’horreur crasse et implacable qui régnait sur place. Or quand tous apprirent les raisons de cette guerre par les Pentagon Papers, la relation entre l’État et son électorat fut bouleversée définitivement.

Le droit d’informer
En parlant de la lutte du Washington Post, mais également du New York Times pour divulguer ces documents qui devaient rester enfouis pour des dizaines d’années, Spielberg remue le couteau dans une plaie qui ne s’est jamais vraiment refermée et qui s’est ouverte de nouveau avec les conflits de ces quinze dernières années. Il ne faut pas oublier que l’homme de divertissement se veut aussi par moments fin visionnaire politique, certes maladroit avec Munich, doué de fulgurances avec Lincoln et passionnant avec le Pont des espions et bien entendu avec La Liste de Schindler.
Il n’est pas étonnant qu’il retrouve ici Tom Hanks et Meryl Streep pour les plonger dans une bataille où l’encre d’une salle de rédaction et les mots dans les salons feutrés deviennent les armes quotidiennes. Pour conter cette course contre la montre, le cinéaste préfère user d’une narration à rebours, au classicisme éprouvé, lente, inexorable comme il l’avait fait pour Lincoln, pour montrer au spectateur que prises de conscience et changements ne s’opèrent pas en quelques minutes, quel que soit le délai fixé.
Si hors du champ de la caméra, la guerre fait rage, Spielberg n’évoque sa fureur par l’inquiétude pour un fils perdu quelque temps sur le lieu des affrontements plutôt qu’accentuer l’horreur par ces images qui ont fait le tour du monde… à l’exception d’une exposition d’école où toutes les bases du futur scandale se posent lors d’une embuscade cauchemardesque. Mais Spielberg ne s’arrête pas à une vision unilatérale de l’affaire, préférant éclabousser les bonnes mœurs et conventions, rythmant son récit au fil des altercations toujours policées.

Pamphlet dévastateur
Le discours sous-jacent pour l’époque et si résurgent aujourd’hui sur la place des femmes est retranscrit par la très frivole Meryl Streep, figure féministe malgré elle, fragile, consciente de son importance sans être capable pourtant d’asseoir son rang. À ses côtés, on découvre un Tom Hanks à contre-emploi, beaucoup plus nuancé qu’à l’accoutumée, retors et moins manichéen, obsédé aussi bien par le désir de publication que par son égo. Il faut reconnaître que l’égo qui dicte le plus souvent les désidératas de ces élites dont le destin du pays et les vérités bonnes ou mauvaises à dire sont entre les mains.
Mais Spielberg n’oublie jamais les enjeux, n’en diminue pourtant pas l’importance ni l’impact. Quand le droit de savoir rejoint les principes fondamentaux de liberté et d’expression, le réalisateur se pose en chantre embourgeoisé, mais conscient des implications et des choix aux combien cruciaux ! Certes on peut lui reprocher une vision légèrement caricaturale de Nixon (personnage un tant soit plus complexe que ce que l’inconscient collectif entrevoit) et surtout de McNamara. Mais, quelle que soit la partialité dont il peut faire preuve, il n’oublie pas non plus d’égratigner les différents successeurs à la Maison-Blanche de Truman à Johnson.
Douze ans après Good Night, and Good Luck de Clooney, Spielberg accouche lui aussi d’un grand film sur la presse et de son combat pour le droit à l’information. Mais tout du long, il fait bien plus encore, engageant des combats dans le combat, ne s’égare jamais au profit des chimères, regrette souvent un passé trop loin et pourtant si proche. Pas de doute ce Spielberg là est bien le plus intéressant et qui plus est essentiel au cinéma américain et contemporain.
Film américain de Steven Spielberg avec Tom Hanks, Meryl Streep, Sarah Paulson. Durée 1h55. Sortie le 24 janvier 2018
François Verstraete
Share this content: