Pop star en pleine ascension, Mima décide d’abandonner la chanson au profit d’une carrière d’actrice. Alors qu’elle peine à percer dans cette nouvelle voie, elle se voit confrontée à d’inquiétants incidents tandis que son quotidien vire au cauchemar.
Premier film de Satoshi Kon, Perfect Blue débarqua dans l’hexagone la même année que Jin Roh et Princesse Mononoké, recevant des éloges critiques identiques à celles émises envers ses congénères. Cette chaleureuse réception confirmait l’intérêt progressif pour l’animation japonaise en Occident. Pour ses débuts derrière la caméra, Satoshi Kon s’essaie au dangereux exercice de l’adaptation en portant à l’écran le roman de Yoshikazu Takeuchi, œuvre profondément abjecte et outrancière. C’est pourquoi Satoshi Kon s’éloigne du récit d’origine, conservant une partie infime du postulat de l’écrivain et installe les bases de son futur travail.
OVNI Lynchien
D’emblée, Perfect Blue se démarque des productions de l’Archipel auxquelles le public est habitué. Polar fantasmagorique aux dimensions sociales et introspectives, Perfect Blue fait figure à l’époque d’ovni parmi le paysage de l’animation mondiale. Mais le long-métrage de Satoshi Kon ne va pas seulement chambouler les codes du genre, mais le cinéma court, puisqu’à l’image de son compatriote Mamoru Oshii, son œuvre va s’inscrire dans un plan beaucoup plus large au point d’influencer bon nombre d’autres artistes.

En outre, si Perfect Blue a servi sans aucun doute de matrice au Black Swan de Darren Aronofsky, l’animé de Satoshi Kon puise quant à lui une grande partie de ses thématiques et de ses obsessions au sein de l’univers de David Lynch, annonçant près de deux ans avant, le Mulholand Drive de ce dernier. À l’instar de l’Américain, Satoshi Kon favorise les réalités protéiformes au point de tordre jusqu’à l’épuisement, les certitudes de ses protagonistes et dans le cas présent de faire vaciller la raison d’une jeune femme en train de perdre pied.
Par ailleurs, si Persona de Bergman a largement influencé Mulholand Drive, il est légitime de se demander s’il en a été de même pour Perfect Blue. Difficile à affirmer même si certaines connexions s’avèrent troublantes, d’autant plus que Satoshi Kon affectionne particulièrement l’Histoire du cinéma (Millenium Actress et Tokyo Godfathers en témoigneront) et que Bergman fait partie des idoles de son compatriote Mamoru Oshii

Malaise en coulisses
Quoi qu’il en soit, avec ce premier travail, Satoshi Kon s’amuse non seulement à démultiplier ces fameuses réalités, mais également à les imbriquer les unes dans les autres, mêlant allégrement rêve et cauchemar, fiction et mise en abyme de la fiction, perte d’identité et prise de conscience. Perfect Blue va en effet bien au-delà du simple thriller ou de la pâle copie de l’œuvre de David Lynch. À l’image des réalités proposées, le long-métrage superpose des ambitions protéiformes beaucoup moins ostentatoires que les terrifiants mirages qui le traversent. Ce processus délicat va prendre forme via le regard porté sur Mima, aussi bien par elle-même que par son entourage, au fur et à mesure que ses certitudes s’effondrent.
Les premières minutes d’un concert attendu par les fans annoncent d’ores et déjà cette orientation. La rumeur court tandis que ces fameux regards sont braqués au sens propre comme au figuré sur la jeune chanteuse. Au cœur des préoccupations, fière de sa réussite, Mima va passer d’un univers à un autre, changer de paradigme au profit croît elle d’un succès probable en tant qu’ actrice. Dès lors le chemin de croix débute alors que les choix de mise en scène de Satoshi Kon font mouche.
S’il reprend certaines outrances du roman, c’est pour mieux souligner une certaine grâce dans ses intentions. Mima souffre tout autant d’être retombée dans l’anonymat que d’être exposée à la perversion d’un système purulent. On ne la considère plus et elle est transformée de fait, en une simple quidam sur un plateau de tournage, tandis que tous commencent à l’oublier.

Voyage au bout de la nuit
À l’image de son agent, Mima devient hantée par son passé, les spectres rôdent, la mort frappe ceux qui ont posé maladroitement leur regard sur elle (d’ailleurs le choix d’énucléer les victimes incarne la véritable faiblesse formelle de l’ensemble, approche trop illustrative). L’ombre de David Lynch plane ainsi que sa célèbre Loge Noire de Twin Peaks à laquelle Satoshi Kon rend hommage, apparition furtive des fameux rideaux de velours rouge à l’appui. L’engrenage se met alors en marche pendant que Satoshi Kon s’évertue à fusionner les réalités connexes, transgressant les sens du spectateur.
Ce tour de force le cinéaste le réussit grâce en premier lieu à la puissance de son cut qui rappelle à chaque réveil de la protagoniste, celui virtuose d’Harold Ramis avec Un jour sans fin. Pour Mima il s’agit plutôt d’un cauchemar interminable, les yeux jamais véritablement clos, son esprit jamais vraiment à sa place. Impossible de distinguer alors nettement pour les uns et les autres, les répliques d’un show télévisé ou d’un appartement, de dissocier trouble et équilibre mental au sein d’un Tokyo aux allures éthérées, grouillant de menaces dissimulées dans l’ombre.

Voyage perturbant aux confins des abysses, dans les tréfonds de l’âme humaine, Perfect Blue ne se contente pas de narrer une maladroite fable policière dans laquelle un maniaque harcèle l’objet de ses désirs. Le long-métrage de Satoshi Kon distille un venin similaire à celui de Persona ou de Blue Velvet, avec la même agressivité, une virulence identique, ce pour mieux dresser le portrait d’une jeune femme avilie par des choix sinueux et qui finit par se haïr. Un tableau digne des aspects freudiens chers à Bergman en somme.
Film d’animation japonais de Satoshi Kona avec les voix de Junko Iwao, Rica Matsumoto, Shinpachi Tsuji. Durée 1h22. 1999
François Verstraete
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