Détective auprès de la police criminelle, Walker est hanté par son passé. Pris au piège, il doit secourir le fils d’un politicien véreux des griffes de la mafia asiatique… une tâche compliquée, d’autant plus que son protégé est la victime d’un vaste complot.

Attendu comme le messie censé sauver un cinéma d’action en perdition, Ravage a connu une gestation calamiteuse et vu sa sortie sur Netflix sans cesse repoussée. L’excuse du Covid n’explique pas tout et il était raisonnable de penser que le nouveau bébé de Gareth Evans avait été relégué sur le banc pour de bon. Fort heureusement, il débarque fièrement sur la plateforme et suscite de fait de nombre d’espoirs auprès des admirateurs du réalisateur du diptyque The Raid, du créateur de Gangs of London et du Bon apôtre (déjà sur Netflix).

Avec sa saga The Raid, le cinéaste avait démontré que l’esprit de John Woo n’était pas mort, tant sa capacité à valoriser fusillades et affrontements à mains nues par sa mise en scène, transpirait à chaque plan. Et ce n’est pas uniquement le Pencak Silat qu’il honorait, mais tout un pan du septième art asiatique et de sa retranscription à l’écran des arts martiaux. Nullement gêné par le cadre ou la fluidité des mouvements, Gareth Evans parvient à plier l’espace à sa volonté, à l’instar d’un certain King Hu.

Un flic ripou à la rescousse

Par ailleurs, il s’imposait comme le digne héritier d’une longue lignée de réalisateurs fascinés par la violence et surtout passés experts dans son exposition. Beaucoup citeront en premier Quentin Tarantino, mais il ne faut point oublier Robert Aldrich, Anthony Mann, Sam Peckinpah, Martin Scorsese. Et on s’interroge alors sur le lien ténu entretenu par ces hommes avec les coups portés hors champ ou de manière ostentatoire et avec les cadavres qui s’amoncellent devant leurs caméras. Ou comment expliquer que la mise à mort se métamorphose en spectacle jouissif, quitte à choquer les esprits pudibonds et frileux ?

Sécheresse de ton

Et Gareth Evans conserve cette démarche crue, un poil racoleuse et d’une brutalité glaçante dans Ravage. Il suit la quête désespérée d’un flic à moitié corrompu, blasé et prêt aux pires extrémités pour parvenir à ses fins… ou survivre. La survie, il en est souvent question chez le cinéaste et elle justifie parfois certaines atrocités quand les protagonistes sont acculés. Par conséquent, ils recourent à la barbarie et imitent ainsi leurs agresseurs, opposant la même férocité, quitte à les écorcher vifs.

Un tandem classique, trop ?

Or, le réalisateur, contrairement à certains de ses homologues, filme ses instants avec une sécheresse de ton et balaie tout humour, tout second degré, pour mieux extraire la sauvagerie qui anime son univers déliquescent. Tout est bon à jeter dans ce bas monde, des membres de la pègre de The Raid aux colons fanatiques dans Le bon apôtre. Voilà pourquoi les exécutions s’accumulent et que leurs auteurs font preuve d’inventivité lorsqu’ils abattent leurs adversaires. Gareth Evans n’épargne jamais personne, quitte à choquer.

Bien entendu, Ravage obéit à cette règle ; les balles pleuvent à l’occasion de fusillades anarchiques tandis que les belligérants se moquent des dommages collatéraux. Les quelques victimes innocentes tombent telles des mouches et le carnage commence. La mort se mue en unique échappatoire et moyen de rédemption. Gareth Evans excelle dans ce jeu de massacre pour mieux instiller le dégoût, comme le faisait Sam Peckinpah avec La Horde Sauvage ou Clint Eastwood avec Impitoyable. La séquence durant laquelle un yakusa abat froidement la veuve d’un ancien partenaire souligne la vision cynique d’un cinéaste aussi amer que son antihéros.

La mafia en action

En quatrième vitesse

Ce dernier se débat avec force contre le temps, cherche des secondes supplémentaires vainement, en quête d’absolution de son âme et pour réparer l’inconcevable. Afin de raconter son périple en forme de chemin de croix, Gareth Evans opte pour un rythme frénétique, simulant un déroulement en quasi simultané, comme il l’avait fait par le passé pour The Raid. Ce procédé astucieux a pour mérite de ne jamais laisser respirer ni le spectateur ni les personnages, rapidement essoufflés sous le feu d’une narration échevelée.

Il s’avère toutefois dommage qu’entre deux rafales d’armes automatiques, Gareth Evans ne se pose jamais pour approfondir des enjeux minimalistes au possible. En outre, le désordre n’opère pas uniquement dans les rues de sa ville, mais aussi dans la structure du récit, tant les ellipses volontaires, le montage parfois approximatif et les raccourcis nuisent à sa cohésion. Ainsi, on ne retrouve jamais vraiment la base solide de ses précédents travaux, qui ancrait chaque protagoniste, chaque événement de façon logique et leur inoculait une authentique identité.

Ni innocent, ni victime

Déjà-vu ?

Bien qu’il n’ait jamais été adepte des tirades interminables ou de dialogues hautement philosophiques, Gareth Evans a souvent offert à sa galerie de personnages quelques moments d’intimité bienvenus, tantôt subtils, tantôt poétiques. Dans tous les cas, cela suffisait amplement à les caractériser. Ici, le réalisateur ne réussit jamais à renouer avec la maîtrise de ses débuts et surtout de The Raid 2, Syndicat du crime moderne survolté, Ravage souffrant d’une écriture trop limitée.

À la place, il propose une pâle copie de ce qui fit sa gloire y compris quand il se concentre sur les combats, sanglants à souhait, mais dépourvus de la virtuosité qui animait ceux des deux volets de The Raid. L’imagination débordante de la scène des toilettes qui ouvrait The Raid 2 s’est évanouie au profit d’une construction de l’espace bien plus balisée et de chorégraphies standardisées, alors que les lieux (discothèque, cabane abandonnée) étaient propices aux exercices de style dont il a le secret.

Voilà pourquoi Ravage laisse un drôle de goût dans la bouche, similaire en apparence aux autres œuvres de Gareth Evans, mais sans leur saveur exquise qui les distinguait des productions calibrées de l’industrie. Un plat trop salé et épicé, sans respecter les ingrédients indispensables au succès de la recette.

Film américano-britannique de Gareth Evans avec Tom Hardy, Forest Whitaker, Timothy Olyphant. Durée 1h46. Disponible sur Netflix

L’avis de Mathis Bailleul : Après Le bon apôtre, la nouvelle proposition pour Netflix de Gareth Evans souffre évidemment de la comparaison avec son précédent et culte diptyque The Raid, chef-d’œuvre du genre du film d’action. Pour autant, ce serait mentir de dire que Ravage n’est pas le shot musclé espéré.

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