Sur la demande du professeur Harrington, John Holden, éminent psychologue, se rend à Londres afin de démasquer un prétendu sorcier. À son arrivée, il apprend la mort brutale de son confrère et fait la connaissance de Karswell, qui, selon ses dires, plie les forces occultes à ses désirs. Le début d’un combat contre des puissances qui le dépassent.

Lorsqu’il réalise Rendez-vous avec la peur à la fin des années cinquante, Jacques Tourneur est déjà en bout de course, sa carrière derrière lui. Pourtant, il possède plusieurs grands long-métrage à son actif, le western Les passagers du canyon ou encore le film d’aventures, La flibustière des Antilles. Mais il avait surtout marqué les spectateurs par son passage sur le cinéma fantastique, faisant avancer comme peu avant lui (excepté Tod Browning), ce genre si spécifique.

La Féline, Vaudou ou L’Homme-léopard l’avaient révolutionné, particulièrement dans la suggestion de la peur à l’écran. Tourneur n’appréciait pas seulement cet univers, il avait foi en lui. Le réalisateur clamait à qui voulait l’entendre pouvoir communiquer avec les esprits d’autres mondes par ses dons médiumniques. Si la vérité est aujourd’hui difficile à accepter, force est de constater que le metteur en scène n’avait et n’a encore nul égal pour capter les ombres et en saisir les aspects terrifiants avec sa caméra.

La vérité ou la folie

Rendez vous avec la peur ne parle pas d’une sempiternelle lutte entre le bien et le mal, mais plutôt celle opposant la logique à la foi dans le surnaturel. Dans cette optique, Tourneur tend sa forme vers l’équilibre, comme pour montrer les deux faces d’une même pièce. Tel que l’explique brillamment le professeur O’Brien, la lumière froide de la raison peut porter en son sein les ombres occultant la vérité. Ainsi s’engage un combat entre deux visions obsessives de ladite vérité entre le pragmatisme réaliste d’Holden et les croyances mystiques de Karswell.

Dans ce jeu de dupes, Tourneur s’amuse à ne contredire ni les uns ni les autres laissant l’interprétation des événements à leur perspective de perception. Pour Holden tout s’explique rationnellement : météo capricieuse, chimie, tour de passe-passe, médium charlatan ou accident tragique. Karswell quant à lui impute à chaque fait, une cause beaucoup moins logique, que seules des puissances étrangères à la science peuvent élucider.

Le cinéaste s’ingénie donc à faire sombrer Holden dans le doute progressivement, sa caméra capte les ombres et lumières, éléments quasi tangibles, presque palpables, en tout cas plus accessible que la vérité tant recherchée. Le ton clair obscur fait alors mouche distillant aussi bien la peur que l’incertitude chez les protagonistes. La séquence durant laquelle Holden se rend à son appartement et prend un long corridor hanté par des silhouettes quasi vivantes imprègne les esprits.

Plier ou s’entêter

Tourneur n’a de cesse de jouer avec Holden, avec sa conception du réel, son déni des fantômes envoyés par Karswell. Les sens du personnage se troublent comme ceux du spectateur par l’usage de ce ton clair obscur. Holden voit s’éloigner Karswell dans le couloir de la bibliothèque telle une créature éthérée ou est confronté à un chat-léopard lors d’une scène cocasse de cambriolage. Durant cette dernière, l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de lui se renforce plus que jamais, le spectre d’une présence malveillante imperceptible et tenace le surplombe malgré ses réfutations.

Surtout, il y a ces deux moments clés où la raison vacille alors que les certitudes établies devraient conforter chacun dans un espace de logique pure. Le dîner d’abord supposé réunir deux personnes de, Holden et Joanna, circonvenant d’un monde dénué d’illusions ou d’effets superfétatoires. Un morceau de papier s’envole irrésistiblement, gravé de runes tel un parchemin ancien, comme animé par une volonté propre, attiré par le feu de la cheminée.

Holden explique le phénomène par la physique tandis que son ombre se mêle peut-être à celle d’un être maléfique. Puis il y a la séance de l’hypnose, censée tous les ramener à la réalité devant une assemblée de scientifiques incrédules. Par sa chute tragique, le film alors confine aussi bien à des sommets de cruauté, de folie, mais également de doute et tend à instiller l’inimaginable dans les consciences des spectateurs ou des protagonistes.

Quarante ans après Rendez-vous avec la peur, Chris Carter dans sa série X-Files exposera le combat d’un homme pour dévoiler au monde l’existence de l’impossible. La vérité était ailleurs, disait-il !!! Tourneur croyait dur comme fer dans ces puissances étrangères, ce qui explique sa réussite dans sa démonstration. Rendez-vous avec la peur constitue plus qu’une œuvre crépusculaire, un testament et un legs aussi bien pour un genre que pour une flopée d’artistes du petit ou grand écran : Mario Bava, John Carpenter, ou encore Rod Sterling en seront les héritiers directs. Quant à Tourneur, maître oublié d’un large public, il donna une dernière fois une leçon dénuée de véritable ostentation, avec pour seules armes une conviction et une finesse inébranlables.

Film britannique de Jacques Tourneur avec Dana Andrews, Peggy Cummins, Nial MacGinnis. Durée 1h35. 1957

François Verstraete

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