Détroit, futur proche. Pour lutter contre la criminalité galopante, l’OCP puissante multinationale dote les forces de l’ordre d’un policier mi-homme, mi-machine pour redresser la situation.

En cette fin de l’ère reaganienne, il fut difficile pour bon nombre d’observateurs d’émettre un avis totalement définitif sur Robocop. Jugé réactionnaire par certains, anarchiste pour d’autres, le long-métrage de Paul Verhoeven ne laissa personne indifférent à sa sortie. Et pour cause. À l’origine, le script du film rédigé par Edward Neumeier reposait aussi bien sur le Metropolis de Fritz Lang, Blade Runner, mais également sur le Terminator de James Cameron.

Gestation improbable

Par ailleurs, il est aisé d’imaginer que les écrits d’un certain William Gibson (Neuromancer est paru en 1984) ne sont pas étrangers au scénariste. Le synopsis de Neumeier passe alors de mains en mains, essuie bon nombre de refus, notamment celui de David Cronenberg. Quand il échoit chez Verhoeven, ce dernier préfère l’envoyer à la poubelle !!! Pourtant, l’épouse du réalisateur jette un œil attentif sur le travail de Neumeier et convainc son mari de réviser sa position. L’histoire est en marche.

Robocop représente les débuts de Verhoeven aux États-Unis. Il traîne la réputation aussi bien d’être un artiste talentueux qu’un véritable chien fou. Adepte de l’outrance exacerbée, ses œuvres ne sont pas passées inaperçues chez les cinéphiles. Révolution sexuelle (Spetters), fable médiévale (La Chair et le Sang) ou tableau de la résistance hollandaise (Le Choix du Destin), aucun thème ne l’effraie. Son cynisme et son regard cru sur le monde conviennent parfaitement à la peinture d’un univers déliquescent, en perdition, celui du tout puissant système capitaliste américain.

Brut de décoffrage

De prime abord, Paul Verhoeven ne s’attache point aux bonnes manières et appuie là où cela fait mal, démultipliant les séquences chocs, gore à souhait, de mauvais goût diraient certains, à l’image de la première exécution, celle malheureuse d’un cadre victime d’une expérience qui tourne au bain de sang. Dans son exposition de la situation, le metteur en scène souligne toutes les fractures d’une Amérique bien loin du rêve trop longtemps survendu.

Si l’action est censée se dérouler dans les années deux mille, faisant de Robocop désormais une uchronie, elle décrit finalement assez justement les dérives et les limites entropiques d’un système. Police et médias à la solde des multinationales, montée de la violence urbaine, victoire de l’ultralibéralisme, autant de craintes évoquées qui font de Robocop un film visionnaire comme Blade Runner quelques années auparavant.

Cependant, contrairement au long-métrage de Ridley Scott, Verhoeven ne s’embarrasse point d’une architecture graphique léchée, conservant une cité d’origine pour mieux rappeler la proximité de cet âge décadent imminent. En outre, la forme est beaucoup plus abrupte que chez Gilliam ou Scott, dénuée de poésie, l’ostentation est de mise comme ces spots publicitaires qui entrecoupent le journal télévisé. Dans cette démonstration de force, un seul mot d’ordre, braver les interdits, quitte à éprouver le spectateur jusqu’à la lie.

Corps d’acier, cœur d’homme

Pourtant cette démarche extrême dissimule la véritable raison d’être de Robocop, bien plus raccord avec l’univers de Verhoeven, conter l’histoire d’un homme devenu monstre, qui ne cherche qu’à retrouver ce qu’il a perdu. Chez le réalisateur hollandais, le monstre est très souvent le héros, victime d’un préjudice irréconciliable qui l’amène à se transformer en bourreau (Elle, Starship Troopers, L’homme invisible, La Chair et le Sang). Toutefois, de tous les héros de Verhoeven, Murphy est celui sans doute qui incarne le plus l’intégrité que l’on aimerait conserver au-delà des directives imposées et des drames endurés.

Véritable figure christique, Murphy/Robocop naît deux fois d’assauts atroces perpétrés d’abord par ceux qu’il pourchasse puis par ceux qu’il est censé appuyer. Cependant, au milieu de protagonistes quasiment tous corrompus, cadres, flics, gangsters et médias, Murphy n’a de cesse de vouloir appliquer la loi, immuable, en dernier bastion immaculé. Il n’est pas étonnant qu’il s’alimente tel un bébé, il est comme un nourrisson encore pur.

Enfermé dans son carcan de métal et de circuits intégrés, l’homme par ses souvenirs s’interroge sur son individualité. Que reste-t-il de lui après avoir été démembré puis recréé artificiellement ? Cette quête d’identité concentre au final tout l’intérêt du cinéaste, allant jusqu’à dévoiler son visage lors d’une scène qui rappelle furieusement la conclusion du Retour du Jedi…

Si les effets spéciaux ont bel et bien vieilli, rarement la réalité n’a été aussi bien rattrapée par une fiction qu’avec ce Robocop. Si la terre est la planète étrangère comme l’écrivait l’auteur d’anticipation Ballard, alors la Détroit présentée et son homme de loi cybernétique ont de quoi effrayer les plus sceptiques d’entre nous. Pourtant, pas de parti pris chez le Hollandais. Quand l’anarchie et le capitalisme conjuguent leurs forces pour mettre à genoux les quelques innocents restants subsiste un sauveur dont les dernières valeurs résiduelles reposent sur une série télévisée et les souvenirs d’une famille perdue. Saisissant.

Film américain de Paul Verhoeven avec Peter Weller, Nacy Allen, Dan O’Herlihy. Durée 1h43. 1987

François Verstraete

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