Sur les plages européennes et coréennes, Younghee traîne son spleen, avec pour seul souvenir celui de l’homme marié qu’elle a aimé il n’y a pas si longtemps. La période fugace de l’introspection commence alors.

Younghee attend, espère. Actrice à la beauté enivrante, elle ne peut oublier son idylle avec un homme marié, cinéaste en vogue au Pays du Matin Calme. Elle part retrouver une amie quelque semaines en Europe. Passer à autre chose. Mais comme les personnages de Beckett, elle s’assied sur un banc, pour discuter et patienter, aspirant à la venue d’un soupirant qui ne se manifestera sans doute jamais. Elle s’agenouille lors d’un plan fugace à l’élégance fulgurante ou elle se soûle à son retour en Corée, mais rien n’y fait.

Le temps de la maturité

Comme à son accoutumée, Hong Sang-Soo parle d’amour, tragique, frelaté, non assumé puisant ça et là son inspiration dans son vécu, si lointain et si proche. Certes son art n’a rien d’iconoclaste, ne brille point d’un éclat pétaradant à l’instar de bon nombre de metteurs en scène actuels. Le cinéaste revendique plutôt une affiliation au style d’Ozu ou Rohmer, cachant les aspirations amères de ses protagonistes par un voile illusoire, et pratiquant avec brio une narration dichotomique à la fluidité renversante. Il filme le quotidien et ses détails dans leur absolue véracité, et se montre capable de faire ressortir le meilleur des décors, des objets, comme le faisait en son temps le génie nippon.

Mais avec Seule sur la plage la nuit, le sud-coréen franchit une étape de plus vers la maîtrise de son art, entremêlant habilement maturité et sobriété. Il transcende son actrice fétiche en égérie tragique que n’aurait pas renié Cassavettes lui-même. Kim Min-Hee, fausse ingénue et vraie icône blessée, évolue dans cet univers d’authentiques simulacres, accrochée à un fantasme destructeur. Point besoin de noir et blanc comme dans Le jour d’après, la grisaille ambiante et la morne plèbe contrastent avec les paroles des protagonistes évoquant constamment des espaces magnifiés, que l’on ne verra jamais… tel l’amour.

Si Éros incarne une nouvelle fois le leitmotiv du dernier opus d’Hong Sang-Soo, c’est pour mieux tirer à boulets rouges sur une notion en laquelle on ne peut que croire, mais ni toucher voire même effleurer. Si les mauvaises langues argueront à tort ou à raison le manque de renouvellement thématique chez le réalisateur, ce dernier leur répond de façon cinglante au détour d’une conversation : peu importe l’histoire, seul compte la manière dont on la raconte… Une pique visant à rappeler que la forme est aussi nécessaire que le fond.

Plénitude

Et force est de constater que cette forme, Hong Sang Soo la maîtrise plus que jamais, la soumet à ses désirs les plus fous, n’hésitant jamais à remodeler ses bases pour mieux renaître de ses cendres fusionnant ainsi corps et âme avec son héroïne. Si l’alcool coule à flot comme à son habitude, Dyonisos n’y est plus le bienvenu, la rancune et l’agressivité ont chassé les festivités. Mouvement amorcé déjà dans Le Jour d’après, Hong Sang Soo ne voit plus que le côté cathartique violent à l’extrême dans ces banquets modernes.

Puis vient le voyage onirique sur la plage. Comme Melvil Poupaud dans Conte d’été, Younghee pense être la seule à être seule. Elle se transporte un instant dans un autre moment de l’espace et du temps, aussi réel et tangible que son périple européen ou son repas de la veille. Elle entraperçoit en quelques secondes le purgatoire autour d’un verre, celui auquel elle aspire et celui qui s’évaporera par la force anodine de quelques mots. Ce court laps de temps, un plan magnifié par la photo en clair-obscur, ouvrant et fermant une parenthèse désenchantée et pourtant salvatrice.

Certains ne verront dans Seule sur la plage la nuit qu’une réponse maladroite aux attaques incessantes envers l’auteur, suite à sa liaison extraconjugale avec son actrice. D’autres encore une énième parabole, usant jusqu’à la corde les ressorts de son metteur en scène. Mais tous manqueront l’essentiel, aveuglés par une lecture monolithique alors que l’œuvre protéiforme d’Hong Sang-Soo exige une approche sibylline permanente, apte à discerner les doubles et les spectres de sa filmographie.

Ceux qui s’y essaieront, feront l’effort d’aller au bout d’eux-mêmes à l’instar du réalisateur et de sa protagoniste et contempleront un univers hanté par une femme au bord de la crise de nerfs, tantôt touchante, tantôt exaspérante et ô combien bouleversante ! Ils découvriront un palais qui recèle des trésors de simplicité, où l’ivresse des mots rencontre la sobriété des images, bref ce que devrait être plus souvent le cinéma.

Film sud-coréen de Hong Song-Soo avec Kim Min-Hee, Young-HwaSeo, Hae-HyoKwon. Durée 1h41. Sortie le 10 janvier 2018

François Verstraete

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