Plus d’un an et demi s’est écoulé depuis les événements du premier Spider-Man. En situation d’échec professionnel, universitaire et sentimentale cause par son alter ego, Peter Parker se voit confronter au plus grand dilemme de son existence alors que son nouveau mentor devenu fou suite à une expérience menace ceux qu’il aime.

La première scène de Spider-Man 2  que tous se remémorent est bien évidemment celle du tramway, moment ô combien épique, mais sur lequel nous reviendrons un peu plus tard ! En revanche la plus belle du film affiche un aspect anti-spectaculaire tout en soulignant l’habileté de son auteur, mais aussi la véritable puissance dramatique d’un blockbuster à part. On y voit Peter Parker laisser vainement un message sur le répondeur de Mary Jane après l’avoir déçue une énième fois. Les deux amoureux entament alors une discussion imaginaire interrompue par le manque de crédit du jeune héros.

Son dernier recours consiste à avouer son secret à un correspondant fantôme. Ces quelques minutes anodines résument pourtant en grande partie les enjeux multiples d’un long-métrage, défini tout de même par le fil conducteur le plus vieux du monde, ce dès le premier volet, celui d’une romance impossible, que l’on a tous connu, que l’on connaît ou que l’on connaîtra un jour.

Le succès originel de la franchise sur papier réside autant dans les exploits aériens du tisseur de toile, mais également dans la fragilité émanant du personnage de Peter Parker. Sorte d’anti Superman et surtout d’anti Clark Kent qui feignait introversion et maladresse, Parker incarnait dans le comic book l’adolescent victime et mal dans sa peau très souvent à l’image des lecteurs. Sam Raimi avec le précédent épisode transposa avec une grande réussite les éléments clés de l’œuvre de Stan Lee et Ditko. Avec ce Spider-Man 2, il va transcender d’autant plus le matériau d’origine toujours avec des armes identiques, mais désormais sublimées par une narration au découpage sans faille.

Formule gagnante

De prime abord, sur beaucoup d’aspects, Raimi ne fait que remettre au goût du jour les composants qui définissaient son opus antérieur, à commencer par la lutte contre la figure paternelle autrefois bienveillante symbolisée ici par Alfred Molina succédant ainsi à Willem Dafoe. Néanmoins, ce n’est point du côté de son prédécesseur qu’il faut chercher les fondements de Spider-Man 2 ni même du comic book, mais plutôt de la trilogie cinématographique consacrée à Superman signée Richard Donner et Richard Lester. À son image, Sam Raimi a bâti un récit d’apprentissage héroïque racontant les origines, les doutes, mais également la tentation d’un personnage si éloigné et pourtant si proche du spectateur.

À l’instar de Clark Kent dans Superman 2, Peter Parker va s’écarter de son alter ego pour l’amour d’une femme. Cependant si Lester opta pour une résolution si ce n’est simpliste du moins limpide du contexte déchirant vécu par l’homme d’acier, Raimi va lui pousser davantage cette crise de conscience, sa déconstruction du protagoniste prenant l’itinéraire d’une introspection servie par autant par le script que par le découpage de sa mise en scène. Si Parker doit être tiraillé de toutes parts, alors la caméra se doit de l’être également. Tout du long, Raimi n’a de cesse d’enchaîner les situations anodines qui juxtaposées bout à bout reconstituent aussi bien le chemin de croix de son héros que les différents morceaux d’un univers ambiant sur le point de vaciller.

Maîtrise incontestable

Ainsi l’exposition pose en quelques minutes les ressorts dramatiques à venir à savoir les difficultés endurées par le protagoniste toutes connectées à sa double identité : incapable de garder un travail, de pouvoir se tenir aux côtés de la femme qu’il aime, de révéler la vérité sur la mort de son père à son meilleur ami ou celle de son oncle à sa tante. En liant chaque épreuve et chaque remords au parcours de son héros, Raimi va bien au-delà de l’entreprise de Lester en répondant non seulement à la question qui suis-je, mais également au pourquoi de ce qu’il est censé incarner.

Mais la force de cette analyse d’ensemble somme toute classique puise sa source dans la finesse du script et dans l’enchaînement de situations aussi fluide que dans le comic book lui-même, retrouvant par la même l’esprit du soap opera propre au média. La chute de ces interrogations sera en elle-même amenée par deux dialogues ciselés entre Peter et sa tante, le premier entraînant les aveux de sa culpabilité concernant le décès de son oncle, le deuxième bouclera la réflexion sur la raison d’être du justicier lorsque May reprendra le flambeau de feu Ben en le renvoyant à ses responsabilités.

Un justicier dans New-York

Enfin, le dernier point prépondérant à aborder n’est autre que le rapport fusionnel existant entre l’homme-araignée et la ville de New York. Certes ce point était déjà présent dans l’œuvre de papier. Il est ici transcendé par les plans aériens conçus par Sam Raimi, retranscrivant New York sous un angle jamais vu (très loin par exemple du travail d’un Woody Allen ou d’un Martin Scorsese), mais également par l’actualité tragique née des attentats du 11 septembre. Les événements d’ailleurs avaient forcé le metteur en scène à enlever du premier long-métrage les images des deux tours.

Après ces funestes incidents, la culture populaire et la ville sont en quête aussi bien de héros du quotidien qu’issus de l’imaginaire. La mutation du héros en super-héros ne fait de fait que s’achever à cette période, accélérée par la mise en avant du parangon filmé par Sam Raimi. Autant adulé que détesté, Spider-Man personnifie à lui seul les atermoiements d’une cité aussi bien portée par ses frivolités qu’empêtrée dans des situations précaires liées à l’aliénation d’une partie de ses habitants. Le héros costumé devient alors un dernier recours souvent refusé dans la réalité et salvateur sur grand écran, redonnant une forme d’espoir autant à ceux qu’ils assistent qu’aux spectateurs qui le suivent avec délectation.

Figure de cette analyse, la scène du tramway évoque toutes les thématiques prisées par le cinéaste et plus encore. Héritier des connotations christiques chères à Richard Donner, Spider-Man achève le processus symbiotique avec son environnement quand les passagers se transforment en cortège élégiaque et le portent tel le Maximus de Ridley Scott. Ce temps quasi contemplatif devient alors aussi immersif que le moment épique jamais égalé depuis le précédent.

Spider-Man 2 a fait bien plus qu’enraciner le genre à Hollywood s’affranchissant des limites imposées par tout blockbuster. En partant des bases antécédentes sans aller répéter uniquement une formule gagnante, Sam Raimi démultiplie les enjeux de l’intime en lieu et place d’une esbroufe crainte et attendue. Quand le questionnement du moi se confond avec un mélodrame jamais porté par un lyrisme exacerbé, le cinéaste fait mouche et accouche sans doute du plus grand film de super-héros jamais tourné. Tout simplement.

Film américain de Sam Raimi avec Tobey Maguire, Kirsten Dunst, James Franco, Alfred Molina. Durée 2h07. Sortie le 14 juillet 2004

François Verstraete

Share this content: