Employé modèle trentenaire, Tsuji est courtisé ardemment par deux de ses collègues de bureau. Mais hésitant, il tarde à prendre une décision, de peur de blesser celle qui sera éconduite. Une nuit, il croise la route d’Ukyio, une mystérieuse jeune femme et lui porte secours. Le début d’un jeu du chat et de la souris puisqu’Ukyio ne cesse de filer à l’anglaise pour mieux réapparaître…
Honnête artisan, auteur notamment d’Au revoir l’été et d’Harmonium, Kôji Fukada aborde à présent un diptyque mélodramatique (diptyque imposé par le distributeur français pour éviter des séances de près de quatre heures) composé des longs-métrages Suis-moi je te fuis et Fuis-moi je te suis. Fervent admirateur du manga The Real Thing, le cinéaste avait entrepris une première adaptation de l’œuvre sous forme de série télévisée. Suite à cette tentative, Kôji Fukada décide cette fois-ci de la porter sur grand écran.
Un couple de fortune échange quelques mots sous la pluie. Contraste saisissant puisque la jeune femme se protège avec un parapluie tandis que l’homme subit l’averse de plein fouet. Une situation cocasse, presque cruelle, qui va à l’encontre des règles courtoises qui régissent mélodrames ou encore comédies sentimentales. Une scène qui résume à elle seule la teneur du long-métrage, qui définit à merveille les personnages et surtout qui met en exergue la capacité de Kôji Fukada à supplicier ses protagonistes.

Hermétisme
De par son histoire, ses us et coutumes, le comportement même de sa population, le Japon entretient un terreau fertile aussi bien pour les uchronies politiques retorses que pour les mélodrames ténébreux. C’est pourquoi, les différents moyens d’expression artistiques locaux, littérature, cinéma ou encore bande-dessinée n’ont de cesse de puiser au cœur des esprits vacillants et tourmentés afin de libérer leur plein potentiel tragique.
Or, Suis-je me te fuis circonvient à cette démarche au point d’incarner si ce n’est la quintessence, mais bel et bien l’archétype contemporain de tout un pan de la culture nippone. Mais au-delà des sempiternelles réflexions autour des relations complexes entre les hommes et les femmes de l’archipel, le film de Kôji Fukada va s’épancher sur une intéressante étude de caractères ; des personnalités singulières, socles propices à des rapports toxiques, rapports qui vont unir Tsuji et Ukyio pour le meilleur et surtout pour le pire…

L’amour et l’honneur
Dépourvu d’ambition, tiraillé de toutes parts, Tsuji jouit en revanche d’un certain succès auprès de la gent féminine. Incapable de choisir, il vit une existence placide tout en refusant de prendre de véritables risques. Lorsqu’il fait la connaissance d’Ukyio, son côté altruiste presque chevaleresque rejaillit à la surface. Comme tous les japonais, la question de l’honneur, de la conduite en société lui importe. Pourtant, cette rencontre fortuite répond bien plus aux codes du film noir que de la comédie sentimentale. Tsuji s’attache à défaut de s’éprendre complètement d’une sorte de femme fatale, fausse ingénue qui va le mener à une succession d’humiliations petites ou grandes.
Rabroué à de multiples reprises, Tsuji fait preuve d’une résilience qui confine à l’obsession voire à l’aveuglement. Piégé dans des situations tragi-comiques, plongé dans l’embarras par le culot ou tout simplement par le lourd passif de sa protégée, Tsuji ne cesse de s’enfoncer, se rabaissant jusqu’à implorer un yakusa de la manière la plus dégradante qui soit. Point de lumière au bout du tunnel, juste une ligne de conduite à préserver à tout prix pour mieux dissimuler son attirance pour celle que son entourage lui dit d’éviter. La mise en scène de Fukada souvent efficace ne parvient pas à endiguer en revanche, la scission en deux parties de son entreprise, qui souffre ici de son absence de conclusion et de fait, de cohésion. Un mauvais choix donc, de la part du distributeur.
Cependant, en dépit d’un tel écueil, le savoir-faire de Kôji Fukada parvient si ce n’est à pleinement émouvoir, à susciter empathie et antipathie, tendresse et agacement envers ce couple improbable réuni uniquement par le devoir ou le désespoir. L’esprit feuilletonesque resurgit au bon moment pour nous inciter grandement à voir la suite des pérégrinations de ces êtres pathétiques au premier sens du terme.
Film japonais de Kôji Fukada avec Win Morisaki, Kaho Tsuchimura, Shosei Uno. Durée 1h49. Sortie le 11 mai 2022.
François Verstraete
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