Années soixante-dix. Membre d’une famille qui a fait fortune dans l’immobilier, le jeune Donald Trump fait la connaissance de Roy Cohn, avocat conservateur véreux. À ses côtés, il va entamer une ascension fulgurante, quitte à balayer tous ceux qui s’opposent à lui…

L’exercice ô combien périlleux du biopic se complexifie davantage quand il se consacre à une personnalité toujours en vie et encore plus si elle est sujette à toute sorte de controverses ! Voilà pourquoi l’entreprise d’Ali Abbasi relevait du travail herculéen puisqu’il s’attaque à la figure éminemment clivante de Donald Trump et que son long-métrage sort peu avant les élections, alors que le principal intéressé est de nouveau en lice pour se hisser au sommet de l’État américain.

Néanmoins, au-delà de toute considération racoleuse ou partisane, The Apprentice a le mérite de se consacrer sur la genèse de l’homme de tous les excès, lorsqu’il n’était encore qu’un rouage quelconque dans un vaste mécanisme qui le dépassait totalement. Il n’est point étonnant que le film capte toutes les attentions dans une période trouble, où l’incertitude demeure et que chaque déclaration du camp démocrate ou républicain, cristallise les rancœurs larvées voire l’indignation, justifiée ou non de l’adversaire.

Les États-Unis frôlent l’implosion sociale et The Apprentice est censé apporter des réponses aux raisons de cette situation, en pointant du doigt l’un des responsables tout désignés. Il est vrai que l’attitude outrancière de Donald Trump et ses décisions à l’emporte-pièce ont favorisé le chaos (même si le tableau mérite d’être nuancé). Ainsi, la tâche d’Ali Abbasi est vaste et délicate. Remarqué pour Border et Les Nuits de Mashhad, le cinéaste dilue ses indéniables qualités dans un maniérisme pas toujours du meilleur goût. Il lui fallait donc s’affranchir de cet écueil s’il ne voulait pas sombrer dans la démonstration pétaradante, mais peu soignée d’Adam McKay dans Vice. Or, l’introduction affiche un contraste saisissant qui subsistera tout du long.

Itinéraire d’un mouton enragé

En effet, The Apprentice (qui tire son titre de l’émission de télé-réalité présentée par Donald Trump) s’ouvre sur le discours d’un Richard Nixon, englué alors dans le scandale du Watergate. Le metteur en scène désire rappeler le rôle néfaste des Républicains dans l’Histoire des États-Unis, à commencer par celui d’un président démissionnaire. Il faut dès lors relativiser ces propos puisque la majorité des universitaires soulignent les aspects positifs du bilan de Nixon (création de l’Agence pour l’environnement, fin de la Guerre du Viêtnam) et ne pas oublier qu’Abraham Lincoln, connu pour avoir abrogé l’esclavage, était Républicain. Hélas, le parti s’est définitivement enlisé dans un conservatisme crasse à l’aube des années quatre-vingt, avec l’avènement de Ronald Reagan et l’ascension d’individus tels que… Donald Trump.

Et pour nous conter justement sa réussite foudroyante, mais galvaudée, Ali Abbasi s’appuie sur une narration qu’il souhaite en partie proche de Barry Lyndon, un modèle insurpassable en la matière, il est vrai. Il rend honneur à Stanley Kubrick lors de la rencontre entre Roy Cohn et son futur protégé. L’avocat aperçoit ce jeune dandy, esseulé dans un club mondain, avec l’œil du chasseur. Au-delà du désir probable éprouvé par l’ancien partenaire de McCarthy, qui doit de fait, dissimuler son homosexualité, il existe une autre forme d’attirance, celle envers un joyau brut à polir, un être qui a déjà baigné dans une éducation basée sur l’intolérance et prêt à asseoir sa domination, quitte à se délester de ses dernières barrières morales. La chenille initie sa métamorphose et se transforme en un mouton enragé, que ne renierait pas Michel Delville.

Duo de choc

Ce récit d’apprentissage prend alors son envol, en s’appuyant sur la performance remarquable de son tandem de comédiens, Sebastian Stan-Jeremy Strong. Le premier, à l’instar de beaucoup d’acteurs passés par l’écurie Marvel Studios, se distingue dans un rôle atypique (comme pour la série dans laquelle il incarne l’ex-compagnon de Pamela Anderson) et prouve par ailleurs que Disney sait choisir ses interprètes super-héroïques (on se souvient de Chris Hemsworth chez Michael Mann ou Chris Evans chez Bong-Joon Ho).

Outre sa modification physique (avec régime alimentaire adéquat à l’appui) dans l’optique d’endosser les traits du futur président, Sebastian Stan insuffle toute la nuance nécessaire afin de crédibiliser l’évolution de son personnage machiavélique. Et Jeremy Strong, l’un des hommes forts de Succession, accomplit la même tâche avec brio, crevant l’écran dans la peau d’un salaud impitoyable, dont la carapace va pourtant se fissurer au fil des épreuves et des événements. Le rendu de la relation trouble qui unit les deux protagonistes repose essentiellement sur tous les menus détails que le duo retranscrit avec minutie et subtilité.

Le temps de l’indécence

Cette dernière notion échappe malheureusement au réalisateur, tant sa mise en scène souffre de redondances flagrantes dans la démonstration, afin d’accentuer le caractère grotesque des uns et des autres. Le comportement indécent de Trump prête à une vulgarité orale, répétitive qui culmine en un pléonasme permanent. Ali Abbasi s’égare en formules chics et percutantes, se vautrant de fait, dans une complaisance identique à celle déployée par son personnage. Ainsi, il oublie que Trump n’est point à l’origine ultralibérale américaine, mais qu’à contrario cette terrible dérive lui a profité (il aurait dû se pencher davantage sur certaines racines du mal, en abordant la crise new-yorkaise, survenue après le Choc pétrolier et la Guerre du Viêtnam).

En outre, sa propension à recourir à une métaphore pataude déçoit, à l’image de l’analogie finale entre les obsèques ignorées et une intervention chirurgicale. Par conséquent, l’entreprise d’Ali Abbasi sombre dans certains travers qu’il s’évertue à critiquer, pas aidée non plus par une illustration malvenue. Certes, il désire humaniser Donald Trump pour mieux accentuer ses aspects monstrueux, mais cette démarche se révèle inutile puisque tous les plus grands criminels de l’Histoire étaient avant tout des hommes (ce qui aggrave toute la nature tragique…).

Ainsi, Ali Abbasi se retrouve prisonnier de son propre dispositif, dont l’ambition nuit au contrôle et à la rigueur requise pour un projet de cette ampleur. Si la bonne volonté transparait, elle est noyée sous des artifices allégoriques aussi grossiers que les protagonistes. Fort heureusement, le film renoue avec un certain équilibre sous l’impulsion d’une distribution au diapason, Jeremy Strong et Sebastian Stan en tête.

Film américain d’Ali Abbasi avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova. Durée 2h00. Sortie le 9 octobre 2024.

François Verstraete

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