George et Kathryn forment un couple parfait, que tous leurs collègues jalousent ouvertement. Et pour cause, ils officient tous deux au sein des services secrets britanniques. Pourtant, tout s’effrite lorsque George part à la recherche d’un traitre…qui pourrait être sa propre épouse.

Depuis la fin de sa retraite anticipée, Steven Soderbergh ne cesse de filmer, téléphone portable à la main, faisant presque croire qu’il ne dispose plus de moyens financiers à même de soutenir ses projets les plus ambitieux. Une supposition tout à fait erronée puisque le tournage The Insider a nécessité pas moins de soixante millions de dollars, une somme plutôt coquette, en deçà certes de celles accordées pour sa série des Ocean’s, mais parfaitement convenable pour satisfaire aux exigences de son récit prometteur.

Le cinéaste a fait de nouveau appel aux services du très surestimé David Koepp, afin d’élaborer un scénario d’espionnage complexe, aux ressorts tortueux. Il s’agit d’une nouvelle collaboration pour les deux hommes puisqu’ils ont travaillé ensemble sur Présence (pour un bilan fort mitigé), sorti, hasard du calendrier, il y a à peine un mois dans l’hexagone. Or, on attend tellement de Steven Soderbergh, au regard de sa carrière, que l’on pardonne de moins en moins ses incidents de parcours.

Filature ?

Voilà pourquoi The Insider constituait une excellente occasion de se racheter (et pour David Koepp de prouver que sa réputation flatteuse n’est point usurpée). Et ce n’était point chose aisée, puisque beaucoup ont souligné l’apparente paresse de Koepp ; en réutilisant le concept du couple d’espions de Mr and Ms Smith, l’auteur ne ferait que recycler les idées des autres. Fort heureusement pour lui, The Insider s’affranchit rapidement de son modèle supposé, ce grâce à l’œil averti de son réalisateur, qui insuffle le brin d’efficacité à même de maintenir le spectateur en haleine.

Domicile conjugal

Toutefois, on s’aperçoit, a priori, que Steven Soderbergh n’a non pas mûri avec ce long-métrage, mais s’est éloigné de certaines caractéristiques de son œuvre, en ne s’intéressant plus désormais à ces perdants qu’il affectionnait tant par le passé dans Hors d’atteinte, Ocean’s Eleven ou Logan Lucky. George et Kathryn incarnent le couple idéal, raffiné, rupin, brillant. Cependant quelque chose ne tourne plus rond et George se met en quête d’une taupe dangereuse qui pourrait bel et bien provoquer la fin du monde.

Attendre le bon moment

Et on retrouve alors le goût prononcé du réalisateur pour les personnages méticuleux, entêtés, incapables de se libérer de leur obsession devenue raison de vivre. Ici, George et Kathryn sont aptes à se soustraire à leur devoir ou à la morale, afin de protéger l’autre… même si George vacille et semble douter dans la fiabilité de sa partenaire. La paranoïa, élément ô combien prépondérant pour le genre, s’empare des protagonistes pour ne plus les abandonner dans ce jeu de poker menteur et accentuera son emprise jusqu’à la conclusion.

Friand des espaces resserrés, le réalisateur ouvre et referme sa parenthèse investigatrice dans l’environnement feutré d’une demeure bourgeoise tenue par un foyer d’espions, impeccable, propre sur lui et parfaitement campé par le tandem Fassbender Blanchett. Point de dîner de cons ou de farce noire à la Festen au cours de réceptions peu ordinaires, mais une discussion à couteaux tirés, qui devrait désigner vrais coupables et faux innocents. Le maître de cérémonie, quant à lui, loin d’être omniscient, joue sur les nerfs et fait parler son expérience, à l’aide d’un procédé manipulateur minutieusement élaboré, comme les grosses ficelles déployées, en partie à bon escient par Steven Soderbergh.

réunion tendue

Psychanalyse et interrogatoire

En effet, en s’attardant davantage sur l’approche du cinéaste, on comprend, lorsque l’on connaît ses penchants, qu’il avance en terrain conquis par moments, s’appuyant sur son fameux Sexe, mensonges et vidéo quand il esquisse le portrait de sa galerie de personnages. Bien qu’il n’ait plus recours aux gros plans face caméra à l’occasion de séances d’interrogatoire ou de psychanalyse, il évente, sans vergogne, tous les secrets profondément enfouis. Plus de déontologie ou de sentiments, tant qu’éclate la vérité, du moins celle que l’on désire entendre… ou accepter.

En dépit du contexte géopolitique évoqué, Soderbergh n’a cure de ces enjeux, seul importe la manière dont sera étouffé le scandale ou au contraire comment il explosera au visage des instigateurs d’un complot cynique. À l’instar de George, le réalisateur n’a que peu d’équivalents pour déceler les failles humaines, y compris dans un univers régi par la dissimulation des informations, à commencer par les plus intimes. Et il n’est jamais plus percutant que lorsqu’il dévoile au grand jour la frustration sexuelle des uns et des autres, leurs fantasmes inavouables et inaccomplis. Freddie, Clarissa ou Zoe rejoignent Graham, interprété par James Spader, dans le film qui valut au cinéaste les honneurs du Festival de Cannes.

Le polygraphe, remède au mensonge ?

En se reposant sur ses acquis, le metteur en scène camoufle de son côté, le caractère chancelant du scénario de David Koepp. Sans prendre l’eau de toute part, il pâtit de la comparaison avec les romans de John le Carré et leurs adaptations à l’écran, souvent réussies. Malgré la présence de Pierce Brosnan, n’allez même pas chercher une quelconque déconstruction de l’image de l’espion britannique ou de James Bond, une entreprise dont s’était acquitté avec succès John Boorman et Pierce Brosnan justement, avec Tailor of Panama, transposition de… John le Carré.

Voilà pourquoi The Insider ne se hisse jamais au niveau de malice attendue, en raison d’une écriture trop balisée, pas suffisamment astucieuse dans les détails et les échéances. Néanmoins, en se moquant d’une mécanique faussement huilée pour revenir à ses thèmes de prédilection, Steven Soderbergh préserve l’essentiel, avec un résultat réjouissant à défaut d’être satisfaisant.

L’avis de Mathis Bailleul : Un mois après Présence, Soderbergh se rattrape avec The Insider, thriller d’espionnage irrésistible et malin sous haute tension fait de dîners chics et de bureaucratie. Un régal d’ingéniosité où chacun ferre le poisson à sa droite jusqu’à un savoureux final à la Hercule Poirot.

Film américain de Steven Soderbergh avec Michael Fassbender, Cate Blanchett, Pierce Brosnan. Durée 1h33. Sortie le 12 mars 2025

François Verstraete

Share this content: