Lors de son dernier contrat, une tueuse à gages blesse accidentellement une jeune chanteuse présente sur les lieux. Rongée par la culpabilité, elle va donc s’opposer à ses commanditaires et tenter de sauver la victime, devenue témoin gênant, tout en composant avec l’investigation d’un flic tenace.

Le principe du remake au cinéma agace un large public, durant une époque où la notion de créativité s’évapore inexorablement. Et il est encore plus délicat pour un réalisateur de s’essayer à cet exercice, en proposant une nouvelle version d’une de ses propres œuvres. Certains se sont distingués dans ce type d’entreprise. La majorité pensera bien entendu à Michael Haneke et son Funny Games, quand les plus érudits citeront Herbes flottantes de Yasujiro Ozu (le japonais avait composé deux variations du film, une en noir et blanc et une, plus tardive, en couleurs). Comme quoi, le procédé ne date point d’hier et même les plus grands s’y sont frottés et dans le cas d’Ozu avec succès.

Néanmoins, peu peuvent se vanter de posséder un génie à la hauteur du metteur en scène nippon et beaucoup se cassent les dents dans ce type d’opération compliquée. Et c’est, hélas, le cas aujourd’hui pour John Woo, qui tente désespérément de reproduire la formule gagnante avec laquelle il avait conquis le cœur des spectateurs et des observateurs pendant les années quatre-vingt-dix. Avec cette méthode, il s’imposa comme la figure incontournable du cinéma de genre et d’action, à Hong-kong et au-delà des océans, avec des titres tels que Le Syndicat du crime 1 et 2, Une balle dans la tête, À toute épreuve et évidemment The Killer.

C’est l’enterrement d’un film culte

Puis, séduit ensuite par les sirènes hollywoodiennes, il fut en revanche déçu par son expérience américaine, en dépit d’un excellent Volte/Face et revint dans sa patrie natale pour mieux prendre sa revanche avec sa fresque dantesque Les Trois royaumes. Depuis ce retour triomphal, à son grand dam, le réalisateur n’est plus que l’ombre de lui-même et ses derniers travaux (Manhunt et Silent Night) n’ont point convaincu, pour rester poli.

Voilà pourquoi il risque gros en offrant une mouture alternative de The Killer, d’autant plus que l’aura culte entourant l’original ne s’est point dissipée. Et si certains choix de distribution laissaient à désirer (pourquoi Omar Sy, opter pour Roschdy Zem s’avérait plus judicieux)) , celui du scénariste paraissait idéal ; le curriculum vitae de Brian Helgeland à l’écriture (adaptation de L.A Confidential et de Mystic River ou encore Payback) parle pour lui. Cependant, cette association, sur le papier, idoine ne va accoucher que d’une immense farce malgré l’ombre persistante du chef-d’œuvre sur lequel est censé reposer le long-métrage.

Où sont passés les berettas ?

Un air de Melville

John Woo n’a jamais caché son admiration pour l’art de Jean-Pierre Melville et encore moins pour Le Samouraï, qui a grandement influencé dans le contenu et le contenant The Killer de 1989. La caractérisation du personnage solitaire incarné par Alain Delon a traversé les décennies et s’est répercutée chez bon nombre de protagonistes sur grand écran, à commencer par celui de Chow Yun Fat dans The Killer de 1989. Néanmoins, John Woo s’était détaché de son modèle pour affirmer ses thématiques et surtout insuffler une véritable identité visuelle et narrative, dans une Hong-Kong plongée dans la criminalité la plus brutale.

Par conséquent, replacer l’action de The Killer aujourd’hui en plein Paris déconcerte et surtout dessert quelque part le dispositif de John Woo, tant il peine à trouver un réel équilibre entre hommage très prononcé au Samouraï (un poisson remplace ici le bouvreuil), les obsessions propres au cinéaste et les contraintes de la production. De fait, le film se retrouve piégé dans une curieuse hybridation, mélange linguistique à l’appui, avec un parterre de comédiens souvent inadaptés et une transposition des problématiques de Hong-Kong dans Paris, qui vire à l’incohérence.

John Woo néglige donc tous les éléments qui instillaient la puissance d’évocation chez Melville et ceux définissant la démesure même de son style. Surtout, le principe solitaire de l’assassin invincible se soustrait trop vite, trop facilement, au buddy movie, ce contrairement à la version de 1989 qui entrouvrait progressivement des brèches dans une carapace virtuellement indestructible.

Attention au retour de flamme

L’ange de la mort

Pourtant, le problème ne provient pas dans la féminisation du personnage, ni dans son interprète, Nathalie Emmanuel, qui souhaite vraiment bien faire. En revanche, on regrette l’esquisse pataude de son portrait psychologique, symbolisée par des séquences de flash-back très mal abordées et des répliques ou attitudes sans saveur. L’ange de la mort taciturne, désinvolte et mystérieux se mute, au contact du policier, en oiseau moqueur et rieur, éloigné de l’idéal envisagé par Melville et repris à merveille par ce même John Woo en 1989.

Quant à ses prouesses venues d’ailleurs, elles relèvent désormais d’une absence totale d’imagination, course poursuite et fusillade doivent remplir le cahier des charges au lieu de se plier à la folie visuelle du cinéaste. John Woo aimerait sans doute renouer avec son sens du spectacle décomplexé et sa forme singulière que tous lui enviaient auparavant, mais rien n’y fait. Outre le sentiment d’impuissance qui se dégage de ce naufrage, il existe une volonté sous-jacente d’en finir avec un passé glorieux, de faire table rase pour mieux renaître (une velléité affichée au demeurant sans aucune finesse)… mais une fois encore c’est raté.

Priez pour John

Relecture ou caricature ?

Fervent chrétien, John Woo s’est toutefois toujours amusé à dynamiter les églises, comme lors du final de Volte/Face et du discours sacrilège de John Travolta avant l’explosion. Quoi qu’il en soit, il n’a jamais renié ses convictions, religieuses ou non, ce jusqu’à aujourd’hui. Le cynisme racoleur dont il fait preuve ici, ferait croire à ses plus fidèles admirateurs qu’il a perdu la foi, à commencer dans le septième art et qu’il continuerait presque par obligation à l’instar de Zee, quitte à se fourvoyer dans des lieux de culte désacralisés.

Par conséquent, ce cru de 2024 n’a rien d’innocent, si on s’approprie les mots de Sam Worthington. John Woo souhaite régénérer son ancien long-métrage en inoculant à son bébé une facette lumineuse et en s’affranchissant de manière définitive de tout le caractère tragique de son ancêtre. Malheureusement cette relecture tourne à la caricature et le tandem Nathalie Emmanuel Omar Sy ne convainc jamais en raison d’un script qui ne respecte plus les nuances d’antan, au profit d’une démonstration brute de décoffrage. Au lieu d’une résurrection, on assiste à un enterrement en bonne et due forme.

John Woo manque sa cible et devrait tirer sa révérence avant de perdre sa dernière once de crédibilité. Néanmoins, une once d’espoir subsiste puisqu’après moult échecs aux États-Unis, il a marqué les esprits avec un Volte/Face décapant. Peut-être aura-t-il la force de réitérer l’exploit…

Film américain de John Woo avec Nathalie Emmanuel, Omar Sy, Sam Worthington, Éric Cantona. Durée 2h05. Sortie le 23 octobre 2024

L’avis de Mathis Bailleul : Ce n’est pas nouveau, et comme toujours quand John Woo s’exporte, il laisse son talent à Hong Kong. Et si l’annonce du remake de son magnum opus sonnait déjà comme une mauvaise blague, The Killer 2024 montre la décrépitude d’un maître. En somme, l’antithèse parfaite du classique.

François Verstraete

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