Il s’avère regrettable que John Woo ait perdu de sa superbe ces dernières années, comme si son talent s’était étiolé à la vitesse d’une balle de Beretta. Le déplorable remake de The Killer a démontré son incapacité à se régénérer depuis son fantastique, Les Trois Royaumes en 2008. Pis encore, cette nouvelle mouture mimait de façon ostentatoire Le Samouraï de Jean-Pierre Melville, sans en extraire la substantifique moelle… alors qu’il avait honoré le long-métrage français de la plus belle des manières avec sa première version. Chow Yun-fat héritait à cette occasion d’un lourd fardeau, celui d’endosser le rôle du tueur taciturne et invincible incarné par Alain Delon, vingt-cinq ans auparavant.

Quant à John Woo, il signait une œuvre alternant frénésie visuelle et contemplation poétique, qui si elle se détachait sur la forme de son modèle, en respectant l’essence, en troquant les enjeux et en contextualisant l’action dans une Hong-Kong corrompue, à la fois très proche et très différente du Paris des années soixante. Et l’exposition, moment prépondérant dans le développement narratif possède la particularité de s’approprier plusieurs composantes de l’introduction et de la conclusion du Samouraï, sans oublier des gerbes d’hémoglobines sur les murs d’un établissement chic de la ville.

Quelques instants avant le drame

Un modèle pour un film culte

La question qui méritait d’être soulevée, quand s’arrêterait l’hommage pour l’entreprise de John Woo et qu’allait-il finalement apporter de plus par rapport au sommet de Jean-Pierre Melville ? Le réalisateur hongkongais répondait simplement par des images fortes et se distinguait par une chute inattendue. Certes, le plan d’ouverture présentant un Chow Yun-fat se recueillant en silence dans une église renvoyait à celui d’un Alain Delon mutique, accompagné de son bouvier, patientant avant l’entame de sa mission exterminatrice. Puis, dans les deux cas survient la rencontre, dans la veine du film noir, avec la femme qu’ils n’auraient jamais dû croiser.

Un échange de regard avec une simple exécution dans le chaos pour l’un et le début du carnage pour l’autre. John Woo se plie à son exercice de style pétaradant, avec l’esbroufe qu’on lui attribue volontiers et les cadavres s’amoncellent. Excepté qu’en dépit des fusillades, il ne perd jamais de vue son objectif initial : instiller une dimension toute tragique, au-delà du dispositif morbide et amplifier l’importance de ces fameux regards au préalable… car ils seront les derniers offerts à ce couple maudit par le destin. Comme si le personnage interprété par Chow Yun-fat s’était condamné et avait entrainé avec lui, dès le départ, son infortunée compagne. Et la mise en place proposée par John Woo rend le tout plausible, impressionne et rappelle l’élégance du Samouraï.

Film hongkongais de John Woo avec Chow Yun-fat, Danny Lee, Sally Ye. Durée 1h51. 1989

François Verstraete

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