1950. Homme d’affaires richissime, mais véreux, Anatole Korda est devenu la cible de multiples tentatives d’assassinat et de complots. Et tandis que différentes nations se liguent contre lui afin de faire chuter son empire, l’industriel s’en va quérir l’aide de plusieurs partenaires, flanqué de sa fille, une nonne à qui il désire léguer sa fortune.

Considéré pendant un temps comme le talent le plus prometteur d’Hollywood, Wes Anderson s’est progressivement enfoncé dans une démarche faussement cryptique, un brin prétentieuse, censée honorer les maîtres d’antan. Sans verser dans le racolage d’un Quentin Tarantino, le cinéaste a tendance à trop vouloir démontrer son statut d’auteur, à coups de couleurs chatoyantes et de travelling ostentatoire.

Les révolutionnaires en action

Si sa méthode a pu convaincre par le passé avec des films sympathiques tels que Moonrise Kingdom, Grand Budapest Hotel ou L’Ile aux chiens, elle a fini par lasser récemment, tant The French Dispatch et Asteroïd City ont divisé public et critiques. Pas de quoi le décourager néanmoins, puisque le réalisateur a débarqué sur la Croisette Cannoise avec son nouveau bébé, The Phoenician Scheme, long-métrage au titre bien mystérieux et à la distribution prestigieuse. Comme pour ses derniers travaux en date, Wes Anderson a pu compter sur des interprètes de renom : Benicio Del Toro, Benedict Cumberbatch, Michael Cera, Tom Hanks, Mathieu Almaric ou encore Scarlett Johansson.

Et contrairement à de nombreux confrères, le metteur en scène n’a point besoin de les attirer avec des billets vers, mais juste avec un projet de qualité (bien qu’il dispose ici d’un financement coquet avoisinant les trente millions de dollars). Une telle aura rappelle quelque part celle de Woody Allen, qui n’a jamais eu recours lui aussi, à des budgets faramineux afin d’arriver à ses fins. Une leçon que certains devraient retenir, d’autant plus que le résultat au moins sur le plan esthétique s’avère satisfaisant. Pour le reste, Wes Anderson avance en terrain balisé, même si le ton jovial d’autrefois cède la place à un cynisme de plus en plus prononcé.

Après le crash

Une direction artistique ambitieuse…

Fervent admirateur de Stanley Kubrick et d’Andreï Tarkovski, Wes Anderson a emprunté à ses idoles leur attrait pour une direction artistique raffinée, à commencer par le soin apporté au décor, aussi varié soit-il. Cette obsession s’est mue en marque de fabrique chez le cinéaste, pour qui l’environnement dans lequel baignent les protagonistes doit plus que jamais se superposer au récit, la profusion des détails et la précision de la reconstitution aidant à cette entreprise toujours délicate, d’autant plus qu’il aime jouer avec les époques, les années cinquante dans le cas présent.

Et si son affection pour des tons colorés reflète une certaine nostalgie, à même de renforcer l’empathie envers ses personnages, on décèle désormais une pointe d’amertume, de cynisme, dans le choix de l’aspect visuel ; l’anarchie et la folie se mêlent à une idée bien plus sombre, les saveurs chaleureuses se substituent ici à un goût de fin du monde. Korda et sa fille parcourent le globe, mais ne découvrent en aucun cas sa diversité avec ce qu’elle a à offrir. On s’amuserait presque de la rencontre de cette religieuse avec l’extérieur, puisqu’elle ne propose qu’un wagon dans une mine, une boîte de nuit ou la cabine d’un avion.

Toujours vivant

Mais une symbolique douteuse

Se dessine dès lors cette association symbolique entre lieux, objets, sentiments et thématiques, chère à Wes Anderson, qui vire à l’obsession quand la cruauté d’une réalité peu angélique frappe. Cette approche, déployée déjà par Stanley Kubrick, nécessite un mélange de subtilité et d’expérience pour une parfaite maîtrise. Hélas, si le cinéaste possède l’expérience, la subtilité lui fait souvent défaut, tant il manie plus le marteau que le scalpel au moment de délivrer sa rhétorique morale. On comprend bien ses intentions à travers le spleen de Korda, désireux de renouer avec sa fille, mais empêtré dans ses machinations.

Pamphlet anticapitaliste, ode à la rédemption, à la liberté également, The Phoenician Scheme brasse large, avec cohésion certes, mais sans se forger une authentique identité. Tel Korda, le long-métrage (et Wes Anderson par la même occasion) souhaite bâtir en se reposant sur ses partenaires tout en écartant le poids des échecs et des erreurs. C’est louable, mais quelque peu hypocrite, puisque faire table rase exige de lâcher du leste en chemin, un geste que Korda acceptera non sans mal et sans laisser quelques cadavres de plus derrière lui… bien que l’image d’une grenade offerte en guise de réconciliation ou pour présenter ses amitiés, constitue un acte osé qui contraste avec le message pacifique adressé par Wes Anderson.

Étranges négociations

Le théâtre de l’absurde

Néanmoins, il ne faut point imaginer que le réalisateur s’égare totalement en chemin ; tout comme son protagoniste, il a conçu un plan, placé sous le signe de l’absurde, cet absurde qui régit sa mise en scène un peu plus à chaque film, que ce soit dans les situations les plus incongrues ou les dialogues, déclamés avec un ton monocorde, sans passion. L’émotion chez Wes Anderson se dissimule ailleurs, dans le confort exigu d’un foyer ou dans l’habitacle peu rassurant d’un aéronef. La Mort ou Dieu ne sont plus les juges d’un univers à la dérive, que seul un chat à neuf vies est apte à bouleverser.

Entre astre céleste autour duquel tous doivent graviter sous peine de représailles et porte vers l’avenir, Korda incarne le pire. Il cumule l’intégralité des péchés capitaux et son âme est prête à être engloutie pour l’éternité. Toutefois, Wes Anderson décide de croire à travers la résilience d’une jeune femme loin d’être ingénue malgré son rôle, unique personnage aimable dans une galaxie peuplée de menteurs et de tricheurs. Le cinéaste exauce les prières et non les vœux de cette nonne qui conserve ses convictions et sa foi en dépit des obstacles, des fusillades ou d’un crash aérien.

Une manière comme une autre pour lui de crier haut et fort qu’il maintiendra son cap contre vents et marées, artiste incompris, solitaire, faussement génial, animé d’une déraison qui lui confère à la fois tout son charme et son caractère insupportable.

Film américain de Wes Anderson avec Benicio Del Toro, Mia Treapleton, Michael Cera. Durée 1h46. Sortie le 28 mai 2025.

L’américain met comme d’habitude ses talents précis d’esthète au service ici d’une violence aussi absurde que légère et décomplexée pour livrer un récit d’aventure pulp charmant et enchanteur. Mais il manque à The Phoenician Scheme de l’émotion pour côtoyer les meilleurs Anderson.

François Verstraete

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