Ancienne vedette d’Hollywood, Elizabeth Sparkle est désormais écartée des projecteurs en raison de son âge. Au bout du rouleau, elle décide de participer à un étrange programme, The Substance, censée lui offrir une nouvelle jeunesse…

Qui s’intéresse encore aujourd’hui à ces étoiles d’antan, de Greta Garbo à Audrey Hepburn en passant par Gene Tiernay ? Ces figures illustres ne constituent plus qu’un lointain souvenir tandis que certaines, un poil plus récentes, ont été évincées progressivement, à l’instar d’Isabella Rossellini voire de Naomi Watts. Si Andrew Niccol leur avait adressé quelque part un superbe hommage avec S1m0ne, d’autres comme Coralie Fargeat s’attardent désormais sur un système qui interdit aux femmes de vieillir et de fait, de ternir l’image glamour d’un monde superficiel.

Tout comme Julia Ducournau, la réalisatrice appartient à cette génération d’artistes qui refusent les compromis, quitte à choquer et n’hésite pas à s’attaquer de front à toutes sortes de problématiques par le biais du cinéma du genre. Et si son Revenge avait divisé spectateurs et observateurs, The Substance, quant à lui, a conquis la presse, le public et le jury, repartant avec le Prix du Scénario lors du dernier Festival de Cannes. Une nouvelle consécration pour le Body Horror cher à Cronenberg, après la victoire de Titane il y a deux ans.

En présentant un violent réquisitoire, ce dans tous les sens du terme, contre le patriarcat, les idées reçues et les coulisses du cinéma en général, Coralie Fargeat entreprend une croisade honorable, munie des plus sincères intentions. Hélas, son travail affiche rapidement des limites formelles, puisqu’au-delà des influences et des effets gore, elle s’avère incapable de transcender son procédé allégorique, en se reposant sur de grossières ficelles.

Je me voyais déjà…

Métaphore pataude

La première scène témoigne d’ailleurs de ce manque de subtilité. Sur Hollywood Boulevard, on voit l’évolution de l’attention des passants sur l’étoile dédiée à Elizabeth Sparkle. D’abord sujette à précaution et à la curiosité, elle ne suscite au fil du temps que de l’indifférence, pour terminer salie par de la sauce tomate, rouge sang. Une manière peu élégante de souligner que toute gloire est éphémère et que chacun ou chacune est soumis à une actualité et à des goûts volatiles. Sans recourir à une illustration totale, la réalisatrice déçoit par son approche dénuée d’une certaine finesse et qui verse par la suite dans une véritable complaisance vulgaire.

En effet, si on devinait d’emblée qu’elle porterait un regard assez singulier sur les corps, on ignorait en revanche qu’elle se vautrerait dans la facilité, gros plans ou resserrés à l’appui, afin de délivrer sa démonstration, ici sans nuances. On comprend sa volonté de s’opposer à la puissance patriarcale, en revanche on regrette l’emploi de métaphores dignes d’un collégien, notamment quand le directeur de production se goinfre sous les yeux médusés d’une comédienne complexée sur la sellette. Le rapport à la nourriture incarne d’ailleurs l’une des nombreuses clés expliquant cette haine de soi éprouvée par Elisabeth et renvoyée à l’écran sans la moindre délicatesse.

Et tout ce dispositif s’embourbe dès qu’il s’affranchit de toute crédibilité, de toute logique, piégé dans les incohérences d’une série B, en dépit des ambitions de la cinéaste et des moyens à son service. La confusion se profile durant les travaux opérés par Sue, plus efficace et rapide qu’un ouvrier du bâtiment expérimenté, ou pendant l’antépénultième fuite en avant d’Elizabeth, moins gênée dans ses mouvements alors qu’elle souffre d’une véritable déchéance physique.

Délicieusement vulgaire

L’antichambre de l’horreur

Un tel tableau repousserait n’importe qui, non pas en raison de son contenu gore, mais bel et bien de ses insuffisances. Néanmoins, Coralie Fargeat relève la tête dès qu’elle se concentre sur ces lourds moments en huis clos, au sein d’un appartement feutré de Los Angeles, dont le rendu est sublimé par la rectitude du cadrage, impeccable dans ce cas. Le malaise qu’elle instille dans ce lieu plongé entre lumière et ténèbres, à l’atmosphère froide, presque palpable, ne déplairait pas à Roman Polanki, qui appréciait ce type de décor, propice à la folie et au dédoublement de personnalité.

Confrontée plus que jamais dans cet antre, à son propre reflet, Elizabeth perd la raison tandis que son alter ego s’échine à accomplir sa destinée. Elles se haïssent bien qu’elles ne fassent qu’une alors que leurs trajectoires inversées ne peuvent mener qu’à l’inéluctable. L’ombre de Dorian Gray et de Persona plane et les pièces spacieuses deviennent de plus en en plus exigües, inaptes à contenir ces deux êtres avides d’indépendance ! La salle de bain se transforme en chambre d’expérimentation des horreurs et dissimule de fait l’épouvantable secret qui ne tarde pas à éclater, dans un final autant déstabilisant que grotesque.

Quelques bouts de ficelle

Chromosome 3

Il faut avouer que l’ultime acte peine à dissiper le ressenti d’une durée bien trop importante, qui s’étire plus que de raison et finit par lasser. Et la leçon récitée par Coralie Fargeat à cette occasion, agace au lieu d’émouvoir, arrache quelques sourires et des hauts le cœur de dégoût. Des airs de farce noire se dégageaient depuis le départ de cet ensemble et il se fond, dans cette conclusion, dans une étonnante brume mélancolique ; un procédé bien vain puisque le tout n’accouche jamais d’un authentique équilibre alors que le long-métrage s’est enfoncé dans l’horreur la plus totale, baigne dans les gerbes de sang et n’épargne plus personne.

 Les mutations opérées sur le personnage de Demi Moore se réfèrent bien entendu au Chromosome 3 de David Cronenberg tandis que la gestation d’un monstre hybride s’accomplit soudainement sous nos yeux. La revanche d’Elizabeth survient sous les applaudissements puis les cris, à l’image de celle de Carrie durant son bal infernal. Quelques minutes hésitant entre pur effroi, boutade cynique et manque de tact le plus total…soit un condensé des failles béantes qui desservent tout le travail de la réalisatrice.

Par conséquent, on se surprend à douter de l’intérêt de ce projet, certes, en adéquation avec l’époque, mais si peu inspiré, hormis sur la photographie et l’éclairage. Telle une copie d’une étudiante appliquée, mais peu talentueuse, The Substance ne séduit jamais vraiment, malgré un apparat fringant et clinquant.

Film américain de Coralie fargeat avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid. Durée 2h20. Sortie le 6 novembre 2024

L’avis de Mathis Bailleul :The Substance réussit à s’émanciper de ses influences là où Titane échouait. Ce faisant, ses intentions n’en sont que plus claires mais la mise en scène est d’une telle criardise surannée qu’elle rend soit nostalgique soit distant. Un peu trop polishé pour le préférer à Revenge.

François Verstraete

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