Hanté par leur passé trouble, un groupe d’antihéros doit affronter une nouvelle menace à même de détruire le monde… et surmonter en même temps leur traumatisme.

Les diatribes visant les diverses adaptations sur grand écran de roman, de bande-dessinée ou dans le cas qui nous intéresse, de comic book, fleurissent depuis de nombreuses années, tant les admirateurs du matériau original exigent le respect, parfois à la lettre, non seulement de l’esprit, mais aussi du moindre détail de l’œuvre qu’ils apprécient. Pourtant, la force d’une bonne transposition au cinéma réside dans la capacité du réalisateur à plier le fameux récit d’origine donné à sa propre vision.

Et cet aspect s’avère d’autant plus crucial lorsqu’il repose sur une pirouette d’écriture, qui serait rapidement éventée à l’heure des réseaux sociaux. Voilà pourquoi Thunderbolts* ne pouvait en aucun cas se baser sur l’histoire imaginée par Kurt Busiek à la fin des années quatre-vingt-dix. Le scénariste racontait comment une équipe de super-vilains, les « Masters of Evil » allaient endosser le beau rôle en se faisant passer pour des héros, les Thunderbolts (puisque le reste des protecteurs de la terre avaient disparu contre l’omnipotent Onslaught) pour mieux s’emparer du monde.

Du politicien…

Néanmoins, certains membres se prirent au jeu et effectuèrent un revirement à cent quatre-vingts degrés. Or tout le dispositif élaboré par Busiek se basait sur le fruit du secret (le complot derrière les bonnes intentions) et il était donc inconcevable aujourd’hui de retranscrire le concept à la lettre pour le MCU, l’effet de surprise étant impossible. Par conséquent, les auteurs choisirent plutôt de remettre sur le devant de la scène plusieurs personnages loin d’être des modèles de vertu, pour mieux les rassembler au sein d’une équipe de fortune, digne des Douze salopards.

Certes, la comparaison avec Suicide Squad se profilait d’emblée au vu de ce synopsis. Néanmoins, Jake Schreier se démarque nettement de son homologue de l’écurie DC, en proposant un long-métrage assez convaincant, qui puise dans de multiples sources de l’univers de La Maison aux idées afin d’ancrer efficacement sa galerie de protagonistes.

au héros torturé

Crise d’identité

Et la scène d’ouverture confirme les velléités de Jake Shreier, à savoir composer avec des individus en proie avec leurs démons intérieurs, aux idées quasi suicidaires et prêts à basculer dans l’inconnu ou le vide. La métaphore peu subtile qui accompagne un saut spectaculaire, inspiré tout droit de celui du Major Kusanagi dans Ghost in the Shell, n’occulte pas les bonnes intentions de l’ensemble, et notamment de se concentrer sur la notion d’équilibre psychique dans un monde habité par des êtres invulnérables.

Lorsque l’on évoque le principe d’instabilité mentale dans le comic book, on se réfère inévitablement à Batman et à ses adversaires. Pourtant, on oublie que Marvel s’est également employé dans ce domaine, ce avec le personnage de Hulk, dont les différents avatars (Banner, Hulk Gris et Vert) correspondent aux facettes freudiennes (ça, moi et le surmoi). Il est d’ailleurs dommage que le MCU ne se soit jamais appuyé sur cette composante inhérente qui définit le colosse invincible et a préféré le tourner progressivement au ridicule.

Red Guardian, le bouffon de service

Edward Norton regrettait sur ce point qu’une séquence de psychanalyse, présente dans Incredible Hulk en 2008, ait été coupée au montage. Heureusement, la franchise se rattrape avec Thunderbolts*, puisque le long-métrage ne néglige jamais cette caractéristique, sur laquelle se développent la plupart des enjeux. Ainsi, Jake Shrieier introduit enfin Sentry/Void, super-héros omnipotent, mais perturbé, autour duquel gravitent quelques hères perdus. Et c’est revenant aux principes du soap opera que le cinéaste consolide un socle fragile de prime abord.

Anti-héroïque ?

Sur le papier, Thunderbolts* ne détenait aucun atout en mesure de séduire un large public et encore moins de le fédérer, la faute à un choix de personnages relégués au rang de seconds couteaux dans les autres opus ou séries de la licence. Et hormis Florence Pugh, aucun interprète ne possédait le charisme nécessaire pour soutenir un tel projet. Toutefois, en dépit de prestations variées (la palme de la médiocrité étant décerné à David Harbour), la distribution se soumet à ce test grandeur nature, censé lancer sous le feu des projecteurs des perdants loin d’être magnifiques.

Le retour de Taskmaster ?

En se concentrant plutôt sur l’homme ou la femme derrière le masque, le réalisateur saisit une partie du potentiel de son histoire et rappelle que les meilleures intrigues super-héroïques se préoccupent autant des atermoiements de ses surhommes que de leurs exploits. Bien entendu, Jake Schreier n’a rien d’un dialoguiste de talent ou d’un directeur de comédiens chevronné. Cependant, il insuffle du crédit aux quelques moments dramatiques, en refusant d’y apposer un ton comique malvenu, une approche trop souvent employée par le MCU pendant longtemps.

Désormais, ce depuis quelques films, la saga a amorcé un retour en arrière et s’est décidé à ne plus rire à mauvais escient du malheur de ses protagonistes. Alors, point de tirades shakespeariennes ou de retenue lyrique, mais le réalisateur assure l’essentiel et prend à contre-pied toutes les attentes liées aux stéréotypes du genre.

Une femme dans la tourmente

Dans les abysses

Disney l’avait annoncé clairement, ce volet du MCU revêtirait un manteau sans doute moins pétaradant, avec moins de pouvoirs ou presque. Moins puissants et pas encore entrés dans la légende, Winter Soldier et ses partenaires n’affichent pas cette dimension cosmique, divine, à l’inverse de leurs aînés ou à leur ennemi du jour. Le récent Captain America : Brave New World aurait pu voguer sur cette tendance, mais s’est au bout du compte vautré dans l’ostentation. Thunderbolts* refuse le spectacle total et opte pour une action plus resserrée, à l’image des retrouvailles musclées dans la première partie du film.

Contrairement à James Gunn et à The Suicide Squad, Jake Shreier désire éviter une conclusion invraisemblable. Son objectif demeure de fait jusqu’à la fin de lutter contre ses ténèbres intimes, d’entreprendre un voyage au bout de la nuit et de s’extirper de son propre enfer. Et c’est en y parvenant qu’il sera envisageable de devenir un authentique héros. Une manière comme une autre de se raccrocher au travail de Kurt Busiek et de reconstituer un parcours unique, aboutissant à un bouleversement total de ses convictions et de ses buts.

Et c’est parce qu’il tire le meilleur d’un brouillon complexe, que le réalisateur remporte son pari, sans accoucher d’un classique, mais en offrant un honnête épisode pour une saga qui en avait désespérément besoin.

Film américain de Jake Schreier avec Florence Pugh, David Harbour, Lewis Pullman, Sebastian Stan. Durée 2h06. Sortie le 30 avril 2025

L’avis de Mathis Bailleul : jusqu’à ses scènes post générique, Thunderbolts* n’a de cesse de cultiver l’intérêt pour lui même et la suite de la saga, pour redorer le blason du studio, qui se décide peut-être à refaire des produits honorables, recentrés émotionnellement. Allez, on a envie d’y croire.

François Verstraete

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