Riche veuve, Cary Scott repousse divers prétendants par peur des commérages. Son quotidien est bercé par les réunions au club très bourgeois de la ville et l’attente du retour de ses enfants chaque week-end. Sa rencontre avec Ron Kirby bouleverse ses habitudes. Elle s’éprend de ce jardinier, jeune, beau et libre. Une liaison qui va rapidement mettre à l’épreuve les relations de Cary avec son entourage…
Lorsqu’il entreprend le tournage de Tout ce que le ciel permet, Douglas Sirk possède déjà un vécu filmographique conséquent, consacré pour la plupart aux mélodrames. Si le cinéaste d’origine allemande jouit d’un véritable succès populaire, il subit pourtant des critiques acerbes de la part des journalistes et autres spécialistes.
Ce n’est qu’à la toute fin des années cinquante que tous révisèrent leur jugement et reconsidèrent l’œuvre de Sirk. Ce dernier ne le sait pas encore, mais sa carrière hollywoodienne touche à sa conclusion. Interprète de Ron Kirby, Rock Hudson, lui, a été érigé au rang de star grâce notamment aux films de Douglas Sirk. Bien que lancé par Raoul Walsh et Anthony Mann, il connut une ascension fulgurante en prenant place devant la caméra du maître du mélo.

Mauvais œil
Tout ce que le ciel permet incarne à lui seul la quintessence non seulement de l’œuvre de Sirk, mais aussi du mélodrame hollywoodien classique. Le synopsis somme toute convenu raconte une histoire d’amour impossible. Cependant, Tout ce que le ciel permet bénéficie d’une lecture à plusieurs niveaux à commencer par les enjeux primaires de son intrigue. La romance réunit ici deux êtres aux origines sociales contraires et pire encore, l’heureuse élue est l’ainée de vingt ans de son futur époux. Dans l’Amérique puritaine des années cinquante, un tel sujet devient un brûlot inimaginable, issu d’une situation qu’on peinait à entrevoir… y compris aujourd’hui.
De cette passion naît une rumeur galopante, propre à engloutir les deux amants, détruisant tout sur son passage. L’analogie avec le maccarthysme vient sourdre de cette atmosphère nauséabonde et réactionnaire. La calomnie et la propagande d’une morale préétablie sont à même de mettre au ban les personnes qui ne s’y conforment pas. Sous ses airs de bluette, Tout ce que le ciel permet affiche un message social sibyllin féroce et dérangeant pour l’époque, faisant fi des mœurs en vigueur, mais également de la place exigée pour la femme au sein de la société, plus encore si elle est veuve.

Dans ce monde replié, la cruauté va crescendo tant pour Ron que pour Cary. Les commérages enflent et la violence des situations, certes purement mentales, vont contraindre cette veuve à des choix douloureux. Accablée par des humiliations subies aussi bien en club ou dans des discussions privées avec ses enfants, Cary devra tracer sa propre route quitte à plaire ou à déplaire.
Au diapason des saisons
À chaque scène, le style baroque flamboyant de Douglas Sirk fait mouche, usant de couleurs chaleureuses pour mieux souligner la passion qui émane du long-métrage. Si, de prime abord, un apparat autant ostentatoire peut agacer, il contraste en revanche merveilleusement bien avec des choix formels bien plus implicites, moins exagérés sur des détails qui ont pourtant leur importance, surtout en ce qui concerne la temporalité.

Ainsi, Sirk articule son récit aussi bien au son du clocher de la ville dessinant de fait les contours de sa narration, mais également en élaguant la temporalité au rythme des saisons. Ces dernières sont bien évidemment marquées par l’évolution de la végétation, en particulier celles des arbres si chers au protagoniste. Les feuilles tombent rapidement dans un automne qui voit en simultanée, une romance passionnée émerger à la même vitesse.
Puis vient l’hiver et les interrogations d’usage, Sirk pose alors son histoire et développe peu à peu les enjeux larvés depuis le début. Il finit l’ébauche d’une toile de fond opposant une cité urbaine oppressante à des espaces verts et blancs synonymes de liberté, apanages environnementaux respectifs des deux amants. Dans le cadre d’un Noël aux allures morbides, survient sans doute le plus beau plan du film où l’image rejoint les mots témoins d’une situation.

On parle donc de spectacle de la vie par procuration, mauvaise comédie jouée par Cary tandis que son reflet dans l’écran du poste de télévision laisse entrevoir tout le désespoir du monde. Pourtant, la force de cette scène tout comme du reste du long-métrage, c’est la volonté de Sirk de ne jamais faire jaillir les larmes alors que tout semble perdu.
Authentique miracle accompli par un cinéaste en état de grâce, Tout ce que le ciel permet applique la recette gagnante de son auteur, distillant au passage coups de cœur et coups de sang sans jamais tomber dans le piège de la guimauve. Paradoxe d’un autre temps, le chef-d’œuvre de Douglas Sirk procure des émotions sans artifice, juste par la maîtrise d’un récit simple et limpide dans lequel se nichent des trésors de subtilité. Une telle réussite laisse toujours un héritage. Fassbinder puis Todd Haynes en furent les garants, puisant leur inspiration chez leur aîné, avec deux adaptations personnelles qui marquèrent également leur époque.
Film américain de Douglas Sirk avec Rock Hudson, Jane Wyman. 1955. Ressortie le 31 juillet 2019. Durée 1h29.
François Verstraete
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