Programme informatique quasi autonome à vocation militaire, Ares peut se matérialiser au gré de la volonté de son inventeur afin d’exécuter des missions peu orthodoxes. Le jour où il rencontre la rivale de son géniteur, il désobéit dans le but d’acquérir sa liberté.

D’une certaine manière, les dernières déclarations de Ridley Scott visant la pauvreté créative dans l’industrie cinématographique retentissent comme un constat alarmant… ou un aveu d’échec, tant le réalisateur n’a pas accouché d’un film convaincant depuis des années (et les mauvaises langues diront depuis Blade Runner). Quoi qu’il en soit, même s’il fait partie des problèmes d’une équation plus complexe qu’on ne le croit, on ne peut nier la déliquescence croissante d’un art. Beaucoup pointent le super-héros en tant qu’épine majeure alors qu’il ne constitue qu’un élément dysfonctionnel parmi d’autres.

Un ennemi pathétique

En en effet, outre l’influence néfaste de Tarantino sur les auteurs, la vague nostalgique qui s’est emparée d’Hollywood et sévit plus que jamais aujourd’hui, entrave toute tentative d’innovation. Les remakes et suites d’œuvres du passé (issues pour la plupart des années quatre-vingt) fleurissent, au grand dam de quelques cinéphiles. Tant que le public afflue, rien ne changera, d’autant plus que les spectateurs croient avec cette démarche, en une ère dorée (utopique) où tout était mieux. De là à rehausser quelques déchets dans la veine de Tron, entreprise courageuse tentant de s’intéresser à l’univers vidéoludique, à grands renforts technologiques (ingénieux pour l’époque), sans scénario ni savoir-faire (il ne faut pas non plus être trop exigeant).

Et en 2011, l’artisan très surévalué (pour ne pas parler d’escroc moderne) Joseph Kosinski prolongea l’expérience Tron avec Tron : L’Héritage, une authentique arnaque reposant à la fois sur la musique de Daft Punk et sur l’éventualité d’amorcer une saga. Le succès très mitigé en salles aurait dû nous éviter ce désastre, mais Disney détenteur des droits en a décidé autrement. Le studio nous propose Tron : Ares, un pseudo reboot réalisé par un cinéaste réputé pour des travaux assez médiocres tels Bandidas et avec en tête d’affiche, un Jared Leto sorti de son ghetto pour l’occasion. Sans grande surprise, la firme et ses acolytes espèrent tromper son petit monde avec un emballage bien tapageur. L’erreur de trop !

Oh, un Kryptonien

Une question de ramage

À force de centrer l’intérêt du cinéma de genre autour des effets spéciaux, on a déplacé grandement le curseur de qualité d’un film. Si s’extasier devant les prouesses visuelles des longs-métrages de James Cameron relève du bon sens, cela ne doit en aucun cas devenir un totem d’immunité pour se prémunir des diatribes envers les carences de la mise en scène. Les belles images ne garantissent point la réussite formelle ; ainsi, le Tron : L’Héritage de Joseph Kosinski incarne l’exemple typique de l’essai quelconque qui se pare d’un plumage attrayant, en délaissant toute la matière qui confère la saveur à son sujet.

Bien entendu, Tron : Ares réitère hélas, cette formule et Joachim Ronning pense leurrer tout le monde avec son décor bichromatique et sa direction artistique censée reproduire la réalité virtuelle informatique avec classe… pour un résultat répétitif et fatiguant à la longue pour les yeux. Certes, on imagine qu’il s’amuse bien avec ses instruments coûteux tel Evan Peters à l’écran avec ses soldats… ce à la différence du spectateur las du peu d’évolution. Copier n’est pas jouer et proposer quelques courses-poursuites vaguement impressionnantes n’est pas filmer.

Course en rouge

Et c’est là que le bât blesse ; les affrontements et les joutes aériennes ou routières qui s’enchaînent ne procurent pas l’enthousiasme attendu, aucun souffle épique ne se dégage. Joachim Ronning nous promet le crépuscule des Dieux et une bataille finale grandiose entre Ares et Athena, pour nous offrir une rixe maintes fois vues, à la chorégraphie catastrophique. Pour compenser cet écueil regrettable, il tire sur la corde nostalgique des années quatre-vingt à coups d’extraits de Dépêche Mode et de renvois aux deux précédents volets de la franchise. Pathétique… et le film n’a pas encore touché le fond, pire il s’enfonce.

Un crétin dans la ville

Le scénario s’accorde avec la grossièreté de l’ensemble, sans imagination et perclus d’incohérences qui feraient passer The Flash pour un monument d’écriture. Pourtant, l’idée de départ se tient, en tout cas en partie, puisqu’elle inverse les positions ; cette fois ce sont les résidents derrière l’écran qui franchissent la barrière, à l’aide d’un dispositif laser qui se réfère aux imprimantes 3D. Métaphore peu habile pour s’attaquer aux dangers de la reproduction de modèles existants en contournant les droits d’exploitation.

Trio gagnant

Et oui, Tron : Ares véhicule un message agressif de Disney et d’Hollywood visant celles et ceux qui chercheraient à s’approprier leurs licences sans leur accord. Voilà pourquoi on parle sans cesse d’espionnage industriel et de concept d’intelligence artificielle. Le réalisateur annihile ici toute singularité avec cette approche ni nuancée ni subtile. Tron : Ares se dresse en défenseur d’un marché et d’un secteur en perdition. Certes, l’IA comporte son lot conséquent de défauts, mais Tron : Ares ne parvient jamais à s’ériger comme le pamphlet ultime contre la dérégulation de son utilisation. Il se contente du minimum et ne convainc pas (tout comme James Cameron et Terminator, qui n’a jamais compris son modèle 2001).

Le plus triste survient quand on se penche davantage sur le script et que l’on recense toutes ses lacunes. Peut-être qu’une IA aurait rendu une copie bien plus honorable. Entre les personnages caricaturaux campés par des interprètes même pas investis (la palme revient sur ce point à Gillian Anderson), les dialogues sirupeux et le fil conducteur absurde, rien ne va ici. Les événements quant à eux souffrent d’un manque flagrant de crédibilité, notamment concernant les dommages collatéraux, consécutifs aux assauts des forces de la Grille. 

C’est l’heure des remontrances

Le rebelle

Fort heureusement, Joahim Ronning, comme un génie hors de la lampe, brandit son arme secrète qui devrait sauver son navire du naufrage. À savoir interroger sur l’humanisation de son Intelligence Artificielle et les conséquences de cette évolution. Ce serait évidemment brillant s’il eût été le pionnier en la matière ou le plus pertinent… James Cameron avait déjà échoué dans les grandes largeurs avec Terminator 2. D’ailleurs, il n’a jamais saisi l’analyse de Stanley Kubrick dans 2001 : L’Odyssée de l’Espace ; Hal ne déraille pas à cause de son statut de machine évoluée qui supplanterait l’Homme mais uniquement par ce que dernier corrompt tout ce qu’il touche, à l’instar de son programme informatique.

Et ici, Joachim Ronning n’égale pas Mamoru Oshii et son Ghost in the Shell. Jared Leto en Makoto Kusanagi du pauvre n’émeut pas dans sa quête et prêterait même aux moqueries. Là ou le cinéaste nippon usait d’un langage philosophique ampoulé et de haute volée, soutenu par une atmosphère poétique envoutante, le norvégien opte pour une chanson des eighties et un Jeff Bridges vêtu tel un Kryptonien dans le Superman de Richard Donner. Affligeant.

Avec un peu de chance, ce Tron : Ares s’écrasera au box-office et enterrera pour de bon ce cycle pseudo-mythique. D’une prétention absolue, le long-métrage agace, s’enfonçant un peu plus. Et dire que le Avalon de Mamoru Oshii encore lui, unique œuvre à avoir digéré les réflexions vidéoludiques, est désormais oublié ou conspué…

Film américain de Joachim Ronning avec Jared Leto, Greta Lee, Gillian Anderson. Durée 1h59. Sortie le 8 octobre 2025

L’avis de Mathis Bailleul : Ça tire un chouilla trop sur la corde de la nostalgie et les clins d’oeil référencés mais ça témoigne de toutes les bonnes volontés de Tron : Ares, qui est avant tout et comme ses prédécesseurs une bombe spectaculaire de technologie et un peu moins de scénario. Mais c’est magique.

François Verstraete

Share this content: