Resté à Paris après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Jerry est un artiste sans le sou, vivant des maigres ventes de ses toiles, partageant son temps avec les enfants du quartier et Adam, lui aussi américain et pianiste fainéant. Un beau jour, il fait la connaissance de Milo, femme richissime qui par amour pour lui devient vite sa mécène. Mais lui n’a d’yeux que pour Lise, pourtant promise à Henri, ami proche… d’Adam.
S’il y a bien un cinéaste à associer à la comédie musicale en sus de Stanley Donen, c’est évidemment Vincente Minelli. Le réalisateur passé par Broadway, n’oubliera jamais ses accointances avec l’univers musical, signant le léger Le pirate ou Tous en scène avec Cyd Charisse. Mais c’est bien entendu avec la consécration d’Un américain à Paris que public et critiques acclameront le talent du réalisateur pour le genre… ainsi que celui de Gene Kelly.
L’acteur, danseur de claquettes, fait figure de proue de la comédie musicale puisqu’il est associé à Un Américain à Paris, à Chantons sous la pluie ou encore aux Demoiselles de Rochefort. Si John Wayne incarne le cow-boy par excellence aux yeux du plus grand nombre, Gene Kelly symbolise quant à lui l’athlétique, dynamique danseur et chanteur des numéros musicaux de l’époque.

The artist
Dès les premières minutes, le film s’annonce comme un marivaudage romancé, voire forcé, et la mauvaise bluette crainte à l’exposé rapide d’un synopsis voit poindre son nez immédiatement. Pourtant, sous ses airs d’histoire d’amour frelaté, le long-métrage recèle d’un second degré de lecture beaucoup moins lisse, et surtout beaucoup plus cynique que reprendront d’ailleurs Woody Allen et Damien Chazelle pour leurs œuvres respectives. En contant les destinées de trois artistes et de leurs fortunes diverses, Minnelli dresse un constat presque amer de leur condition, partagée par tous ceux qui empruntent cette voix.
On peut y réussir tel Henri, mais c’est rare, comprendre que l’on manque de talent à l’image de Jerry ou en regorger mais point le courage nécessaire pour l’exercer comme Adam. D’ailleurs la séquence durant laquelle le musicien s’égare au pays des songes, allongé sur son lit en lieu et place de travailler est élogieuse : s’imaginant chef d’orchestre, pianiste, instrumentiste et public averti, il retire une gloire qui n’attendrait que lui si ses efforts suivaient ! L’amertume chez Minnelli n’existe pas seulement dans l’accomplissement des carrières de nos protagonistes, elle est caractéristique d’un amour non partagé basé sur une quelconque reconnaissance ou sur une passion assouvie, mais rendue impossible par cette même reconnaissance.

Paris, je t’aime
Un Américain à Paris c’est surtout une histoire d’influences, celles qui ont porté le metteur en scène, mais également celles qu’il léguera, traces de pas empruntées par des talents d’un autre temps. Tout comme Jerry, Minnelli s’est laissé guider par quelques grands peintres français pour construire son espace, Toulouse Lautrec en tête. Chaque image est une invitation à poser pour la postérité d’une filmographie encore à dessiner, cadrée en confinant l’environnement à sa plus simple expression, laissant libre cours au lyrisme naturel émanant des protagonistes et du décorum réduit au minimum.
Il y a bien entendu l’apport musical de Gershwin, et son célèbre poème symphonique Un américain à Paris qui donnera son nom au long-métrage. Minnelli retranscrit à l’écran toute la vigueur et la mélancolie de l’œuvre du maître aidé aussi bien par une chorégraphie de tout premier plan que par l’énergie déployée par Gene Kelly. Il faut parler également de la déclaration d’amour à Paris, authentique romance du film. Alors qu’il n’y a tourné véritablement que deux scènes, Minnelli rend un hommage vibrant à la capitale française, réussite quasi unique pour l’époque, peu de cinéastes s’étant donc essayés à l’exercice hagiographique d’un lieu-dit.

Instant épique
Cette démarche, Allen et Chazelle la reprendront bien des années après. Pour Woody Allen notamment, elle s’avérait naturelle tant le réalisateur s’était entiché de Paris. Surtout leurs comédies musicales respectives puisent largement leurs doutes, leur énergie et parfois leur lecture dans le long-métrage de Minnelli. Sans compter leur dernière séquence, renvoi ultime à celui d’Un Américain à Paris.
Morceau de bravoure d’une durée supérieure à quinze minutes, filmé sans paroles ni chansons, bercé par les notes de Gershwin, le ballet final d’Un Américain à Paris incarne plus qu’un modèle, un véritable exercice de style formel encore inégalé aujourd’hui et peut être insurpassable. Poétique, presque baroque dans le mouvement perpétuel de ses protagonistes, cette farandole gargantuesque a quelque chose d’épique, alors qu’elle ne résume dans ses contours les plus fous, l’amour entre deux êtres et leur chemin parcouru.
Spectacle du vivant sur pellicule d’une formidable inventivité, Un Américain à Paris détonne non pas par la simplicité d’une trame connue d’avance, mais plutôt par l’alchimie entre un réalisateur au sommet et l’un des acteurs les plus complets de sa génération. Symphonie d’un autre monde, peut être moins brillant sur la durée que Chantons sous la pluie, moins classique que West Side Story, moins cynique que Les Demoiselles de Rochefort, Un Américain à Paris n’a pourtant point à rougir face à ses confrères, nanti d’une conclusion lumineuse devenue un modèle intemporel.
Film américain de Vicente Minnelli avec Gene Kelly, Leslie Caron, Oscar Levant. Durée 1h54. Sortie le 1er juillet 1952
François Verstraete
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