New-York 1961. Un jeune musicien au passé énigmatique débarque et se lie d’amitié avec quelques-unes des grandes figures de la scène nationale. Éblouis par son talent, ils vont l’aider à accomplir son destin, au sein d’une Amérique en plein bouleversement.

Hasard du calendrier, Un Parfait Inconnu arrive en salles une semaine après Better Man, autre biopic musical consacré cette fois à Robbie Williams. Les deux longs-métrages partagent en commun d’avoir essuyé au préalable un énorme revers au box-office américain et de s’engouffrer dans une mode entamée suite au triomphe de Bohemian Rhapsody en 2018. Pour James Mangold, l’homme derrière Un Parfait Inconnu, il s’agit d’un échec supplémentaire après celui de son volet de la saga Indiana Jones. Un camouflet pour cet honnête artisan, capable pourtant de se hisser au niveau des sujets qu’il aborde.

Certes, il ne réinventera jamais la roue ; néanmoins, s’il est dénué de cette once de génie qui façonne les plus grands, il n’est point dépourvu en revanche de talent. Et il n’est jamais plus à l’aise que lorsqu’il se concentre sur des icônes populaires, bien réelles ou imaginaires, en retirant non pas une substantifique moelle de ses essais, mais plutôt une saveur crépusculaire, celle qui définit les légendes. On ne compte plus les portraits esquissés par sa patte, de Wolverine à Indiana Jones, de Johnny Cash à Ken Miles.

Or, alors que l’on pourrait penser qu’il serait à court d’inspiration, le cinéaste s’attaque au mythe Bob Dylan, unique chanteur à avoir décroché le prix Nobel de littérature (ce qui suscita de multiples controverses concernant sa légitimité), adaptant au passage l’ouvrage d’Elijah Wald, Dylan Goes Electric (qui raconte comment le musicien a effectué sa transition du Folk à la guitare électrique, impliquant une énorme polémique). Et si l’ensemble souffre des écueils qui sabordent quelque peu la filmographie de Mangold, il se détache du simple biopic par des partis-pris judicieux. Certains crieront au crime de lèse-majesté, d’autres à la réussite totale.

Romance contrariée

En terrain connu ?

Quoi qu’il en soit, le choix du long-métrage de se pencher uniquement sur la période 1961-1965 (tout comme le livre sur lequel il se base) induit un positionnement fort, celui de traiter l’ascension de l’artiste et de sa rupture supposée avec le style de ses débuts. James Mangold va se servir de ce postulat pour déployer un dispositif atypique avec bon nombre d’entreprises du même genre (et le public appréciera au passage). Cependant, il fera grincer des dents les admirateurs du compositeur, tant il use de raccourcis faciles, quitte à piétiner les faits.

Ceux qui imaginaient arriver en territoire conquis, en connaissant la vie de Bob Dylan sur le bout des doigts ou qui ira consulter son historique sur internet seront déconcertés. Toutefois, cette volonté de se délester de détails authentiques donne lieu à quelques scènes de bonne tenue comme l’analogie entre la romance de Bob et de Sylvie avec celle entrevue dans un film avec Bette Davis. Et lorsqu’il se conforme à la vérité plus ou moins établie, Mangold émeut notamment quand il retranscrit les visites de son protagoniste auprès de son idole, Woodie Guthrie, alité et affaibli.

En outre, le réalisateur évite la copie trop lisse, trop convenue, qu’il avait rendue avec Walk the line, et polit de fait davantage son édifice, en se risquant à un parallélisme osé. En s’appuyant sur un contexte politique fort (Crise de Cuba, manifestations pour les droits des Afro-Américains), il va comparer la lente évolution des mentalités face aux changements sociaux… et aux pratiques musicales. On louera l’engagement de Bob Dylan contre le système, mais pas son passage à la guitare électrique !

le duo de la discorde

Mi-ange, mi-démon

Le cadre établi, Mangold peut alors introduire une personnalité imparfaite, mais orpheline de ses traits les plus noirs (comme sa dépendance à l’héroïne). Loin d’être un saint néanmoins, Bob Dylan, ne trahit pas, fait office de célébrité malgré elle, mais ne comprend pas pourquoi les femmes souffrent à cause de lui. La séquence durant laquelle il chante aux côtés de Joan Bez avec son ex-fiancée Sylvie en arrière-plan, éclaire toutes ses difficultés à évoluer en société. Il ne vit que pour et par la musique, une passion qui compense les joies de l’amitié et du sexe (écrire importe presque plus pour lui que de partager des moments intimes).

Et c’est dans ces instants, souvent gênants, que réside la force d’Un Parfait Inconnu, celle de relever le génie sans user d’artifices ostentatoires, ou comment évoquer cette facilité à créer tandis que d’autres besognent pour arriver au sommet (ce que Dylan ne manquera pas de clamer à son amante). N’allez chercher nulle muse ou de passé spécifique (Mangold balaie ses origines d’un revers de la main, presque immédiatement) sur lequel reposerait son œuvre ; le cinéaste touche du doigt ce qui différencie une légende d’un simple auteur à succès.

Voilà pourquoi il a sans doute jeté son dévolu sur Timothée Chalamet afin qu’il endosse le rôle phare. Le comédien délivre une performance assez éblouissante dans la peau de l’interprète ; ici, son délit de belle gueule sied particulièrement bien à un personnage mi-ange, mi-démon, qui attire les foules avec la même aisance que lorsqu’il choisit les mots et les notes d’un tube planétaire.

Johnny Cash, un admirateur célèbre

L’aura d’un génie

À travers le charisme de son acteur, James Mangold capte le magnétisme même de Bob Dylan et retranscrit à l’écran son aura inexplicable, celle d’un génie qui attise la convoitise et suscite une admiration sans bornes, presque logique. Qu’elle se produise dans une chambre d’hôpital ou dans un cabaret en vogue, la future vedette hypnotise déjà, peut-être sans le vouloir… et le résultat est là. Conscient ou non de son pouvoir, Dylan cherche à s’isoler et à dissimuler le fruit de son travail, relaté dans des carnets pourtant bien visibles sur une table, à la vue de tous, à commencer par celle de journalistes de passage.

On ne devient pas célèbre sans un minimum d’égo et Bob Dylan ne fait pas exception à la règle. Et James Mangold saisit toutes ces nuances avec la même nonchalance que son protagoniste, astre solaire autour duquel gravitent d’autres figures satellites d’envergure, qui consolident par conséquent son statut. Ainsi, quand des baroudeurs tels que Peter Seeger ou qu’une icône de la trempe de Johnny Cash s’inclinent devant lui, on entrevoit alors ce qu’il dégage… et ce que le cinéaste désire !

Une manière pour James Mangold de confirmer aussi sa place non pas dans le panthéon du septième art, mais plutôt dans une classe constituée de ces quelques élèves doués, à l’image du regretté Don Siegel, adeptes d’un classicisme éprouvé, sans fioritures, qui traverse en premier lieu Un Parfait Inconnu.

Film américain de James Mangold avec Timothée Chalamet, Ellie Fanning, Edward Norton. Durée 2h20. Sortie le 29 janvier 2025

François Verstraete

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