Iran. Un homme croise par hasard son ancien geôlier. Il le traque, le capture dans le but de se venger. Cependant, tout ne se déroule pas comme prévu, puisque son prisonnier nie les faits et sème le doute…

La voiture d’une famille tombe en panne dans un coin isolé. Les membres parviennent à trouver de l’aide auprès de locaux. Le père se promène dans la demeure, en attendant les réparations. À l’étage, l’un des résidents se cache aux yeux des visiteurs, pour une raison inconnue, quitte à travestir sa voix, durant un échange avec son frère. Les minutes s’égrènent et paraissent une éternité pour lui, tandis qu’un son grinçant résonne inlassablement lorsque celui qu’il semble craindre se déplace. La clé du mystère ? Cette scène, imprégnée d’une tension subtile, va engendrer une série d’événements improbables.

Un geôlier prisonnier ?

Adversaire féroce du gouvernement iranien, Jafar Panahi est devenu, au fil des années, la coqueluche de la critique internationale ainsi que des festivals les plus prestigieux. Déjà récompensé par la Caméra d’or cannoise, l’Ours d’or de Berlin, le Lion d’or vénitien, le voilà désormais couronné par la Palme d’or. Fort de ses distinctions, le cinéaste est en train d’égaler, en termes de notoriété, son illustre compatriote Abbas Kiarostami, ce à défaut de se hisser à son niveau de mise en scène. En effet, quel que soit son palmarès éloquent, on regrette ses lacunes formelles, qui nuisent à sa filmographie.

D’ailleurs, il est étonnant que peu relèvent cet écueil évident, soulignant de fait le problème d’une époque qui préfère s’intéresser au contenu plutôt qu’au contenant. L’ère où le sujet importait moins que la démarche est révolue depuis longtemps. Or, si le combat légitime de Jafar Panahi doit continuer, il ne doit en aucun cas occulter les faiblesses de ses travaux y compris présentes dans Un simple accident, qui ne démérite pourtant pas dans sa première moitié.

Réflexion dans le désert

La tyrannie de l’absurde

Un groupe hétéroclite pousse un van en panne transportant l’improbable. Ils gênent de fait la circulation et occasionnent un concert ininterrompu de klaxons. Ces images s’apparentent d’une certaine manière à la célébration d’un cortège de mariage… d’autant plus que la future épouse se trouve dans le véhicule. Ces quelques minutes, anodines, témoignent de l’atmosphère absurde qui imprègne le long-métrage. À la base du dispositif désiré par Jafar Panahi, elle rythme le récit et provoque le rire alors que rien ne prête ici à sourire.

Le cinéaste oppose ainsi l’humour à la tragique situation vécue par son pays, régi par les tyrans. Rien ni personne ne semble en mesure d’affronter la dictature de la terreur, alors que les instruments du mal se chargent d’exécuter la moindre contestation. Et c’est dans cette optique que le réalisateur réunit des résistants de fortune ; ancien manifestant licencié, journaliste, écrivain ou quand intellectuels et travailleurs militants font front pour exiger réparation de leur bourreau. Par conséquent, Vahid et ses compagnons comptent bien aller jusqu’au bout de leur entreprise, tandis que leur périple revêt des atours inattendus.

La cigarette du courage

L’esprit de No Man’s Land de Danis Tanovic, des Démons à la porte de Jiang Wen et surtout d’Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia s’empare d’Un simple accident. Les tribulations du groupe de ravisseurs feraient presque oublier la gravité de leurs souffrances passées et celles qu’ils infligent désormais. Ce n’est pas une tête décapitée, comme chez Peckinpah, qu’ils transportent, mais un homme bel et bien vivant. Jafar Panahi joue avec leurs nerfs et ceux du public, quand ils sont confrontés au risque de la découverte. Ils pourraient à nouveau tomber aux mains de leur ennemi, au cours de leur quête de la justice.

Présumé coupable

Cette crainte se mêle à une autre bien plus étonnante, celle d’enfermer un innocent. La plupart des protagonistes sont incapables, à la base, de se prononcer sur l’identité du captif, puisque Vahid ne l’a reconnu que par le bruit strident de sa prothèse. Tout semble l’incriminer, pourtant le doute subsiste. Et Jafar Panahi joue sur cette ambiguïté, d’abord avec subtilité. Tous souhaitent accabler Eghbal, dans l’espoir non seulement de se venger, mais aussi de tirer un trait sur une histoire douloureuse, faîte de larmes, de sang et de tortures. Dans cette optique, l’objectif s’avère clair, faire avouer.

Des préparatifs interrompus

Et l’autre ressort intelligent du long-métrage se dessine, lorsque les victimes d’hier se transforment en bourreaux, déployant des méthodes dignes des inquisiteurs engagés par le pouvoir en place. Chacun et chacune cherche à obtenir une confession pour des faits hypothétiques, que Eghbal pourrait très bien ne pas avoir commis. Le parallèle établi par le réalisateur est éprouvant et montre comment le formatage de la société et la confrontation avec un système inique métamorphosent les érudits et les personnes de bonne volonté en monstres.

Pourtant, certains événements témoignent de la capacité d’un pays et de ses habitants à surmonter l’horreur et à aller de l’avant, à se relever. Les noces prochaines ou une naissance illuminent un désert hanté par la mort. Jafar Panahi croit encore à la charité, même si cette dernière est à l’origine d’une mécanique implacable. Néanmoins, il reste du chemin à faire, tant les attitudes iniques sont ancrées dans les comportements (la scène de la corruption de deux gardiens de parking en atteste).

No Man’s Land

En roue libre

Et il reste également de la route à parcourir pour Jafar Panahi, s’il désire accéder à une maturité stylistique, qui lui manque encore une fois. Tous ses efforts affichés s’envolent durant les quarante dernières minutes, qui s’enlisent dans une illustration croissante, qui dessert tout le travail effectué jusqu’alors. En l’espace de quelques secondes, toute la finesse de l’ensemble est balayée par les mots prononcés par Shiva. Elle n’analyse pas clairement la situation, elle explicite de façon démonstrative le propos sibyllin du cinéaste.

La litote écartée, le réalisateur s’abandonne à un exercice de facilité et oublie toutes ses bonnes intentions, qui éclairaient son œuvre. Les petites anicroches du départ pardonnables (la métaphore de la prothèse trop vite éventée) se substituent à des failles béantes, incompréhensibles tant tout paraissait sous contrôle. Les révélations en pagaille s’enchaînent et on se sent quelque part trahi, après avoir ressenti toute la force de l’ambivalence. Quant au final, il déçoit par son absence d’élégance et une ultime séquence partagée entre redondance et conclusion dépourvue d’imagination.

Si Un simple accident était un premier long-métrage, on entreverrait de belles perspectives pour son auteur. Hélas, il s’agit bel et bien du dernier lauréat cannois et on s’interroge par conséquent, si le festival récompensera encore un authentique coup de maître (à l’instar de Parasite). Quant au cas Jafar Panahi, on attend toujours qu’il confirme des dispositions intéressantes et qu’il comble son inconsistance. Ici, il séduit d’abord, pour se perdre dans les méandres de sa réflexion.

Film iranien de Jafar Panahi avec Vahid Mobasseri, Maryam Afshari, Ebrahim Azizi. Durée 1h42. Sortie le 1er octobre 2025

François Verstraete

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