Osamu et sa famille sont passés maîtres dans l’art de voler dans les magasins, pour arrondir les fins de mois de plus en plus difficiles. Un soir, au retour d’un nouveau forfait, Osamu et son fils trouvent sur leur chemin la jeune Yuri qui semble abandonnée. Ils la prennent alors sous leur aile mettant en péril leur quotidien.
Osamu travaille à temps partiel sur un chantier. Son épouse Naboyo est employée d’un supermarché. Aki, encore adolescente offre ses services comme objet de fantasmes sexuels. Quant à Shota, il s’éduque dans la rue entre petits escamotages et lectures, loin d’une scolarité classique. Tous vivent sous le toit de la patriarche, profitant et abusant de son hospitalité. Mais dans ce jeu de dupes, nul ne sait qui se retrouve à l’arrivée, le dindon d’une farce cruelle par moments, et tendre à d’autres.

Dans la continuité
À l’occasion de son vingt-deuxième long-métrage, Kore-Eda s’évertue à dépeindre sans fards, mais toujours avec une pointe mélancolique, la famille nipponne jamais vraiment traditionnelle chez lui, souvent marginale et s’éloignant des standards confortables ou honorables voulus par le pays. Avec Une Affaire de famille, il s’attache ici à décrire le quotidien d’escrocs au grand cœur, amenés sur le chemin de la malhonnêteté par les événements et les difficultés. Si l’ombre d’Ozu plane évidemment sur la mise en scène du cinéaste de Nobody Knows, en revanche celle d’Oshima et de son drame intimiste, Le Petit garçon semble avoir inspiré les protagonistes de cette arnaque à un système déshumanisé.
Dans un pays où le sur consumérisme rutilant contraste avec une pauvreté galopante après des années de crise, il n’est point étonnant que les laissés pour compte s’organisent pour damner le pion à un état qui les abandonner progressivement. Comme Ozu par le passé, point d’effets ostensibles pour appuyer sa démonstration, seulement des ellipses ça et là pour souligner les dérèglements sociétaux d’une nation où l’honneur prévaut sur le bonheur, l’attitude sur la qualité de vie. Pourtant, l’œil du metteur en scène ne juge jamais, constate, nuance même lorsque ses brebis deviennent des loups et n’hésitent point à faire preuve d’une dureté similaire à celle qui les ont mis sur le carreau autrefois.

Le réconfort du foyer
Au sein de ce marasme, il y a néanmoins ce tissu familial cher au réalisateur, celui que l’on construit et reconstruit sans cesse. Si ici on choisit son foyer, contrairement à l’adage chanté par Maxime Le Forestier, c’est pour mieux retrouver la chaleur perdue, une raison si ce n’est de vivre au moins d’accomplir toujours un peu plus que le nécessaire, comme garder des cannes à pêche au lieu d’en retirer un profit à même d’améliorer le jour à venir. Dans ce microcosme fragile, la jeune Yuri ne vient pas seulement combler un manque, mais trouver aussi un semblant d’humanité.
Pour conter l’histoire de ces Misérables des temps modernes, la démarche formelle de Kore eEda époustoufle par sa maturité, épurant son style se rapprochant plus que jamais de son idole. À commencer par sa maîtrise des dialogues. Sans s’attarder dans leur contenu, il les valorise par des situations ou des scènes tantôt grotesques (quand Osamu converse sur un sujet important en se brossant les dents), tantôt poétiques quand Osamu et Aki s’entretiennent sur allongés sur des futons séparés par la table basse, souvent inattendue dans le rapport à la caméra lorsqu’il choisit d’opter pour un plan éloigné tandis que d’autres auraient resserré le champ sur les protagonistes.

Art subtil
En outre, tout comme Ozu, il parvient à insuffler de la vie à chaque élément du décor, rendant intéressant chaque objet, chaque meuble. Des billes, une lampe torche, des cannes à pêche, des billets de banque bien sûr. Chaque fruit d’une entreprise réussie souligne aussi bien le désespoir ou l’amoralité, mais renforce également un peu plus le ciment de l’intime.
Et puis il y a ces deux moments où la magie atteint son paroxysme. D’abord quand Aki sèche une larme déposée sur ses genoux par un client. Une scène au lyrisme bouleversant, sans trop en faire, d’une infinie délicatesse. Puis il y a la fin d’une époque incarnée par la lumière de lampes torches filmées à contrechamps, éclairant des visages hébétés. Peut-être deux des plus beaux instants de la carrière du cinéaste, arrêts sur image rendant éternel le cliché alors à l’écran.
Lauréat amplement mérité de la Palme d’Or du dernier Festival de Cannes, Une Affaire de famille n’est point un simple résumé des obsessions de son auteur, ou encore un condensé sommaire de son art. Plus qu’une apogée, cette fable à l’humanisme désabusé, mais jamais désespérante annonce quelque part la matrice de son œuvre future.
Film japonais de Hirokazu Kore-Eda avec Lily Franky, Sakura Hando, Mayu Matsuoka. Durée 2h01. Sortie le 12 décembre 2018
François Verstraete
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